~ Le Chant de l'Acier ~
Durant la quatrième lune astrale.
Soigner l’ivresse éthérée, du moins chercher à en apaiser les effets. C’est ce à quoi à Hanae était occupée durant cette lune, face à sa table de préparation. Ses gestes sont précis. Elle assemble les feuilles de thym, les morceaux râpés de gingembre. Y ajoutant des zestes de citron, ainsi que d’autres ingrédients dont elle a le secret, créant un mélange équilibré. Sur un côté, repose son joli couteau confectionné par Kyro qu’elle se plait depuis à utiliser. De l’autre, ce qui s’apparente à un livre de recettes, remplies d’annotations manuscrites dans une langue orientale. Sur une grande distance, les effets secondaires du voyage en éthérite pouvaient être incommodants pour certains. La Raenne évitait d’utiliser ce moyen de transport, se sachant sensible même pour de petits trajets. Fatigue, nausées… son éther ne parvenait toujours pas à s’y faire. Cependant l’infusion qu’elle préparait n'était cette fois pas pour son utilisation personnelle. Elle était destinée au forgeron et sa nouvelle équipe, en vue de leur prochain voyage. Elle sourit avec douceur. Kyro et Nogya n’étaient en effet maintenant plus seuls au Chant de l’Acier.
Depuis quelques temps, sa forge avait déménagé pour plus grand dans le quartier. Dans le même temps, d'autres Vieras avaient été recrutés. Parmi eux, le poète. C’est ainsi qu’elle le surnommait, car il écrivait de jolies choses. C’était un glaneur, passionné par les pierres précieuses et les voyages ; parfois il lui en faisait lire les récits qu’il gravait dans d’innombrables carnets. Et puis il y avait l’autre, plus discret. Adriel, le tanneur, qui se laissait beaucoup moins cerner. Il n’en restait pas moins gentil ; mais rien ne semblait lui échapper. Kyro avait aussi un apprenti, Leeja, qui apprenait avec sérieux à ses côtés l’art de forger. Ils lui faisaient penser avec tendresse à un père enseignant à son fils. Nogya, le mineur, était là depuis le début. Avec une loyauté envers son chef qui demeurait d'acier. A la tête de son domaine, il y avait bien sûr le forgeron, Kyro. Ou le Viera aux cheveux d’ébène, comme Hanae aimait secrètement l’appeler. Muni de son marteau et de son fer brulant, il gérait d'une main de maître cette équipe nouvellement composée.
Qu’en était-il d’elle ? Aux autres, c’est comme la soigneuse de la forge que Kyro l’avait naturellement présenté. Un rôle qu’elle avait accepté sans réfléchir. Elle soignait déjà le forgeron depuis quelques lunes. Au fur et à mesure, elle avait vu cette entreprise grandir et s’épanouir, à ses côtés. Elle avait partagé avec lui la joie de son succès, parfois ses questionnements ; d’autres fois ses craintes. Si leur relation pouvait revêtir bien des formes qui demeuraient sans nom… il y avait entre eux cette affection profonde, avec beaucoup de respect. Comme lui, Hanae souhaitait la prospérité du Chant de l'Acier. Ainsi, elle fut heureuse de pouvoir y contribuer, par ses remèdes. Dès le début, leur origine naturelle avait semblé toucher Kyro ; peut-être lui rappelaient-ils sa jungle lointaine qu'il aimait, à la nostalgie dans sa voix qu'elle décelait à chaque fois qu'il lui en parlait. Elle-même y voyait là une ode à ses racines. Ces recettes lui venaient de si loin, de ses parents qui jadis lui avaient tout appris, là-bas... Dans sa Doma natale. Etaient-ils fiers de ce qu'elle était devenue… ? Cette idée apportait en tout cas un peu de réconfort aux blessures secrètes de son coeur.
Dans cette équipe, chacun se complétait avec ses propres savoirs. Travaillant dur chaque jour à produire du matériel de qualité. Tous semblaient cependant renfermer certains secrets. Pour Hanae, ils étaient comme des loups solitaires, décidant de s'associer pour une même cause, sans pour autant se laisser facilement approcher. Ils partaient de temps en temps en voyage pour récolter des matériaux pour les besoins de la forge, en revenaient parfois blessés. La jeune femme s'était ainsi retrouvée à évoluer dans ce monde d'hommes à la culture qu’elle découvrait, les observant avec respect,apportant ses soins avec patience et douceur. Sur son temps libre, elle apprit à les connaître, jusqu’à se lier d’amitié, tout en respectant les limites que chacun voulait imposer. Elle n'était pas là pour leur soutirer leurs secrets. Simplement, elle restait à l'écoute lorsque certains voulaient se confier. Elle garderait alors en elle ce qu'ils souhaitaient préserver.
Au fond de la cour de la forge, un petit jardin sauvage se trouvait derrière la clôture. Une petite cascade y prenait vie en secret. C'était là son petit coin caché. Un endroit paisible et inspirant où Hanae aimait rêvasser, tremper ses pieds dans l'eau ou composer des haïkus... Des fois sans s'en rendre compte, elle s'y endormait. Ce son du fer qu'elle entendait frapper au loin... il lui procurait une douce sensation de sécurité. Comme un son constant, régulier qui rythmait depuis un moment son quotidien et qui lui murmurait qu'ici, rien ne pourrait lui arriver... Parfois durant sa pause, Kyro venait l'y rejoindre. Il était le seul à connaître ce petit monde d'onirisme qu'elle s'était créée. A l’abri des regards, elle partageait alors avec lui ses poèmes... ou bien d’autres tendres secrets. Les jours d’été passèrent avec sérénité, entre la mélodie du fer, la poesie des pierres, le refrain du cuir et la chaleur du brasier... Dans ce petit commerce de Lavandières, avec douceur et discrétion, peu sauront qu'ainsi, une fleur s'était épanouie parmi l'acier.
H.