[Anecdote] Les larmes de la Noscea

[Maeko]

Maeko poussa du pied la petite porte de bois gris et usé de la maison familiale. Elle passa le seuil, les cheveux humides, un panier rempli de poissons frais dans les mains. Dans un sourire, elle salua sa mère, posa le récipient sur la table de la salle à manger, attrapa un fruit dans la cuisine et fila à l’étage.

Elle poussa en hurlant comme une dégénérée la porte de la chambre de sa petite sœur. Celle-ci avait anticipé l’attaque et sauta du lit alors que Maeko se jetait en avant sur elle. En riant, les deux jeunes filles se mirent à courir l’une après l’autre en jetant tout ce qui leur passait sous la main pour gêner l’autre. Finalement, après une minute de course-poursuite, un matelas renversé et une dizaine de vêtements de pagaille, la grande sœur prit l’avantage et attrapa la cadette avant de lui frotter énergiquement le crâne.

« Arrête Maeko ! Arrête je te dis, ça fait mal, gémissait la petite Lalafelle.
- Aaaah, et tu me donnes quoi pour que ça cesse ?
- Je ne dirai pas à maman que tu as fichu le bazar dans les vêtements tout juste repassés !
- Mince, il faut toujours que tu aies le dernier jour Laeko. Tu es une personne fourbe, ce n’est pas bien.

La petite Laeko se contenta de répondre en se libérant de l’emprise de sa sœur puis en lui tirant la langue.

L’amour que les sœurs portaient l’une pour l’autre irradiait dans la petite pièce. Elles se mirent à se raconter ce qu’elles avaient fait et vu dans la journée, puis la conversation, comme à son habitude, se mit à partir dans tous les sens.

Alors, le monde semblait leur tendre les bras. A l’une surchargée de travail par ses études qui rêvait d’élargir ses horizons, à l’autre, trop jeune et trop fragile pour voyager au-delà des portes du petit village de pêcheurs. Leurs imaginations respectives se joignaient pour former un tohu-bohu d’idées folles et de monstres improbables. Tout était paisible.

« Dis Maeko, ça te dirait de me raconter une jolie histoire avant que maman ne nous appelle pour le dîner ?
- Bien sûr petit crapaud, tu en veux une en particulier ? Je peux te raconter la fois où j’ai caché la baguette de mon professeur d’élémentalisme !
- Oh non, tu l’as déjà racontée mille fois celle-là… Tu ne veux pas plutôt faire celle où tu me tues en voulant défier les lois de la nature, grande sœur ? »

Le visage de Laeko se fendit alors d’un atroce sourire macabre.

Maeko se redressa de son matelas en hurlant, trempée de sueur. Le cri avait percé le silence de la nuit noscéenne. S’efforçant de se calmer tant bien que mal, la jeune femme passa ses mains sur son visage.

Cela faisait longtemps que ce rêve n’était pas revenu.

Il continuerait probablement de revenir tout le reste de la vie de l’élémentaliste. Il faudrait vivre avec. Du revers de la main, Maeko essuya les larmes qui avaient trouvé le chemin de ses joues infantiles avant de se recoucher les yeux grands ouverts. La nuit promettait d’être longue.

« Un jour, je serai heureuse, je me le promets ».

[Texte originellement publié sur le forum des Songes de Nymeia en Juillet 2015]