[Chronique] On t'accompagera, si tu trouves ta route

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Dahey
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[Chronique] On t'accompagera, si tu trouves ta route

Message par Dahey » 07 juil. 2017, 10:09

Le chêne
Sa mine indifférente
Devant les cerisiers fleuris



Ses yeux étrécis, un pli vertical s’intercalant entre ses deux sourcils noirs, son regard était pleinement focalisé sur son adversaire. Face à lui, à quelques pas seulement, le vieux samouraï balourd vacillait lentement comme le seigle sous la brise. Dans un instant, à un âge mûr, il serait pareillement fauché.

Le jeune homme, déterminé, raffermit sa main sur la poignée de son katana. Lentement il positionna en une posture passive, son pied droit glissa dans la poussière en arrière, et sa longue lame s’inclina vers le bas en arrière également. Une brise souleva délicatement la manche bouffante de son haori.

Le vieux, lui, plein de saké probablement, essayait de maintenir son équilibre se servant de son arme comme d’une canne. Avait-il conscience qu’il s’était lancé dans un affrontement perdu d’avance ? Il avait lâché au sol un fatras de pièces d’armures puis avec grande précaution il avait posé sa bouteille au sommet de ce tas de bric et de broc.

Le duel ne serait pas équitable, et sa victoire peu glorieuse, mais le jeune bushi à l’avenir aussi immaculé que la soie de son kimono ne voulait pas laisser passer l’affront faite par son rustre d’aîné. Aussi l’aiderait-il, par la même occasion, à garder quelque honneur en le passant par le fil de son sabre.

Le vieux samouraï se passa l’avant-bras sur le visage et la manche de sa tunique crasseuse s’en imbiba de transpiration. Enfin des deux mains il leva son katana au-dessus de sa tignasse poivre et sel. Il grogna en agitant sa tête comme un sanglier fatigué, prêt à charger une dernière fois.

Le jeune bushi attendit qu’il fasse le premier pas. L’aîné s’avança tête baissée. Il s’élança le sabre toujours en arrière. Au point de rencontre lui et sa lame tournoyèrent avec grasse et assurance, en silence. A sa stupéfaction, le vieil ivrogne passa d’un cheveu sous le fil létal. Avec toute sa gaucherie il avait trébuché et s’étalait joue contre le sol terreux. Etait-il mort ? Son cœur avait-il enfin failli ? S’était-il endormi, là au beau milieu du duel ?

- Relève toi ! Tu te fais honte ! Aboya le jeune homme

Le vieil ivrogne prit du temps pour se remettre debout. Beaucoup trop. Et son jeune adversaire s’impatientait déjà. Penché en avant il cracha d’une salive noire une partie de la poussière qu’il avait aspiré. Sa colonne vertébrale craqua comme une vieille branche morte quand il se redressa. Il renâcla et se mit en position pour une seconde passe.

Le jeune bushi avait déjà adopté sa posture attentive, prêt pour le nouvel échange. A nouveau la brise balaya le sol. Une mèche de cheveux détachée caressa sa joue. Il craint que le souffle fît vaciller voire emporta le vieux. Celui-ci renifla et vint à lui poussé par le vent. Alors le jeune guerrier s’élança à son tour déterminé à mettre fin à ce cirque. Sa lame décrit une courbe ascendante avant de revenir s’abattre sur sa cible qui toujours sous l’emprise de l’alcool fit un écart maladroit et vint le heurter et l’entraîner dans une chute.

Désormais sur son séant, le jeune homme pesta.

- Est-ce là ta façon de te battre ?

Prenant appui sur son sabre, il se releva puis épousseta vivement son pantalon et son haori.

- Si je ne devais pas déjà te tuer, je te corrigerai aussi pour ça.

Le vieil homme, le regard hébété, lui fit signe de la paume de main de patienter alors qu’il était encore cul par terre. Il se gratta vigoureusement l’arrière du crâne, emmêlant encore plus sa tignasse.

Le jeune bushi perdait quelque peu patience. Il n’y avait personne d’autre qu’eux à des lieux. Il aurait pu en finir là sans se soucier des codes qui régissaient leur duel de samouraï. Toutefois tout ça avait beau commencer à l’agacer, il resterai honorable. En attendant, il se mit une troisième fois en garde, cette fois dans une posture offensive, le katana maintenu à deux mains au-dessus de sa tête, comme l’avait fait son aîné pour la première passe.

- Es-tu enfin prêt ?

Le vieux guerrier avait pris la même pose, mais sa prise était plus lasse. Ses bras semblaient flageoler sous le poids de l'acier feuilleté pourtant réputé léger.

Tous deux s’élancèrent en même temps. Leur rencontre fut brève, le geste du jeune homme fluide, son katana fendant silencieusement l’air. Pas de choc entre les lames. Juste la brise rafraîchissante sur sa joue, et sa nuque. Les deux hommes s’étaient croisés. Derrière lui, le vieux ne s’était pas à nouveau pris les pieds dans ses propres sandales. Immobile, arrêté sur la fin de son geste, il attendait d’entendre son adversaire s’effondrer. La brise soufflait de plus en plus fraîche dans son cou. Il souriait. Enfin c’en était fini, il le savait et il souriait. Il souriait, inconscient du sang qui imbibait fibre par fibre le col de son beau haori. Il ne sentit pas ses jambes l’abandonner et le sol se dérober.

Le vieux samouraï remit sa lame au fourreau dans un geste précis. Puis s’approcha du jeune homme avec une vitalité et une aisance retrouvées et se laissa tomber sur les fesses auprès du corps étendu face contre terre.

- Hai. J’ai bien entendu ce que tu disais mon jeune adversaire. Mais toi tu n'as rien vu.

Il regardait aux alentours sans savoir ce qu'il cherchait.

- Est-ce là les guerriers qui ont réussi à mettre le pays à genou ?

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