Dans le désert
Pakhemetnou avait recommencé à faire tourner son anneau autour de son index sans s’en rendre compte, plongé dans ses souvenirs. Jocelyn était aussi absorbé que lui par son récit. L’homme aimait poser le contexte, expliquer la situation et son état d’esprit avant de rentrer dans le cœur de l’histoire. C’était important. Et l’élézen adorait cela. Il se sentait immergé dans le récit. Il avait l’impression d’y être, de le vivre. La voix, le rythme, les intonations de Pakhemetnou étaient mesurées et servaient parfaitement son récit. Jocelyn lui trouvait de véritables qualités de conteur.
— Tu étais à la fois celui qui avait créé un scandale, celui qui avait fait détruire les marchandises d’un vendeur et celui qui avait certainement éviter des centaines d’intoxications alimentaires. Et tout cela, avec des explications ésotériques.
L’homme acquiesça doucement, tournant son regard sur son ami.
— Je l’ai compris bien plus tard, mais j’étais déjà loin et cela ne m’importait finalement qu’assez peu.
— J’imagine… Tu me parles de tes signes. De quoi s’agissait-il ?
Pakhemetnou haussa lentement les épaules, désormais désillusionné.
— De bien peu de choses en réalité, c’était surtout un prétexte. Le sens du vent, la forme d’un nuage, un insecte qui se pose sur une branche… N’importe quoi d’anodin pouvait se révéler être un signe à mes yeux.
— Un prétexte. Il n’y avait rien de divin alors ?
L’homme soupira en secouant lentement la tête, l’air dépité.
— Rien du tout. Mais je le croyais dur comme fer, et je ne pouvais en douter, c’était impossible. Pour moi, à cette époque, je ne faisais que suivre la volonté d’une quelconque divinité dont j’ignorais tout.
L’élézen avait l’habitude de cet ésotérisme et excentricité dans les histoires de son ami, il ne l’en jugeait pas. Il pouvait certes passer pour fou, mais l’homme qu’il avait en face de lui était loin de l’être. C’est tout ce qui importait à Jocelyn.
— Je vois… Alors tu as repris ton voyage avant d’avoir de nouveaux signes ?
Pakhemetnou opina lentement, ses yeux retournèrent à l’horizon tandis que ses pensées retrouvèrent leurs souvenirs.
« J’aimais bien le Thanalan, alors j’y errai sans but, prenant le temps d’observer la faune et la flore locales. J'avais déjà oublié le malaise que j'avais ressenti. Je trouvai quelques ingrédients mystérieux. Les feuilles d’une plante particulièrement m’intriguèrent. Après quelques essaies infructueux, je découvris quelques propriétés que je notai sur un bout de papier et les rangeai dans mon coffre. Alors que je m’intéressais à un fluide orangé contenu dans les mandibules de ces énormes insectes, je perçu enfin de nouveau signes. Ils m’enjoignaient de reprendre ma route, en direction de l’est. Ce que je fis sans attendre, bien entendu.
Je marchais dans le désert, presque hypnotisé par sa beauté. J’aperçus, non loin, la capitale du Thanalan, Ul’dah. Mes pensées avaient erré un moment sur ce sujet, je m’interrogeai sur les rapports entre cette cité et les ruines alentours, sur l’origines des richesses qu’elle semblait abriter et sur le mode de vie que ses habitants pouvaient avoir entre ses murs. Cela me paraissait à la fois très loin et très proche. Mais bientôt, l’enceinte de la Cité passa hors de mon champ de vision et mon attention se porta sur autre chose. J’approchais d’une gare. La gare de Roncenoire. C’était ma destination, je le savais.
J’installai, comme à mon habitude, mon campement à l’extérieur de la ville, sous les étoiles. J’aime dormir sans toits au-dessus de ma tête, sans murs autour de moi, sans plancher en dessous. Puis je me mis en quête de la raison de ma venue ici. Encore une fois, je rendis services gracieusement tout en me renseignant sur la ville et ses environs. Je n’eus aucun mal à comprendre que ce n’était pas dans la gare même que j’allais être le plus utile. Un peu plus loin, au nord-est, il y avait un camps de réfugiés et de nécessiteux. Je voulu m’y rendre pour les aider quand je réalisai quelle était ma mission.
Un frisson parcouru mon échine, je m’arrêtai alors net dans ma démarche, mettant mes sens en alerte. Je cherchai l’origine de cette sensation et je trouvai à l’écart de la route une sorte d’ombre. Rien de naturel, c’était évident. Je percevais cette ombre, telle une tâche sur ma rétine, à travers la roche du désert. Je m’en approchai, quittant le chemin et gravissant quelques rochers. Sans prendre le temps d’admirer la vue, j’examinai ce qui avait attiré mon attention. Un déséquilibre. J’étais bien incapable d’en comprendre la nature, ni même la signification, mais je savais ce que je devais faire. Les Dieux m’avaient envoyé résoudre cela. Sans crainte et sans le moindre doute, j’étendis mes mains vers cette ombre et accomplis la volonté divine. L’ombre se résorba, se dissolvant dans les couleurs du désert, ne laissant rien derrière elle. Ma mission était accomplie. Je pouvais désormais librement continuer à rendre service jusqu’à percevoir les prochains signes. Jamais je ne doutai de les recevoir. Qu’ils mettent des semaines ou des mois à m’apparaitre, ils finissaient toujours par arriver.
Après la Gare de Roncenoire, ce fut dans un refuge, la petite Ala Mhigo, que les signes me guidèrent. A l’époque, la cité Ala Mhigo était occupée par Garlemald, l’ennemi d’Eorzéa, il parait. Et des centaines de réfugiés avaient trouvé un foyer dans cette petite ville, camouflée dans des grottes du Thanalan, à l’abris des regards et de la chaleur du désert. Le désespoir régnait aux côtés de la pauvreté et de la colère. Je ne rendis pas services comme j’en avais l’habitude, je préférai les encourager à ne pas perdre espoir de revoir un jour leur cité libérée du joug de l’Empire. Bien sûr, je ne savais même pas ce qu’était Garlemald, ou l’Empire de Garlemald comme ils disaient. Tout comme je ne savais rien d’Ala Mhigo ou même du Thanalan. Mais personne ne s’en préoccupait. J’avais des paroles encourageantes et porteuses d’espoir, c’était tout ce dont ils avaient besoin. Bientôt, la défiance des réfugiés à mon égard disparue et les autorités me parlèrent d’un problème qu’ils n’arrivaient pas à résoudre. Il s’agissait d’une autre grotte, à l’est, qui était infestée de revenants. Ma vision se troubla alors, mes sens en exergue, mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Je me portai volontaire pour y enquêter et, bien sûr, ils acceptèrent mon aide.
Alors je me rendis sur place, sans même savoir où c’était, guidé par la lumière divine. Je suivis un éclat lumineux, certain qu’il s’agissait du chemin à suivre. Je trouvai, sans le moindre détour alors que j’ignorais sin emplacement, cette grotte qu’ils appelaient la Sépulture. Et elle portait bien son nom. Les revenants, ces êtres dont l’âme torturée n’avait plus rien d’humaine, dont le corps sans vie obéissait à une quelconque volonté, brillaient à mes yeux comme des torches en pleine nuit. Non pas de flammes jaune, orange ou rouge, mais d’un feu violet aux reflets et aux ombres bleues. Sans crainte, je pénétrai dans la grotte, armant mes poings et les détruisis. Mes mains les consumèrent ensuite, purifiant le mal du monde. Tout en me battant, je me sentais reprendre vie, reprendre force, mon corps me parut plus léger, plus fort, plus combattif. Rarement le combat m’avait paru aussi aisé, inné. Quand il n’y eut plus un seul revenant, je me sentis comme comblé, l’âme légère et satisfaite. Une fois de plus, j’avais accompli la volonté des Dieux.
Retournant au refuge de la Petit Ala Migho, je fis un résumé de ce qui s’était passé aux personnes qui m’avaient confié ce problème. Ils étaient abasourdis que je l’eus réglé si vite. Ils voulurent me confier d’autre travail, me parlant de cette étrange façon de faire, ici en Eorzéa. Les autorités, quand elles ne pouvaient s’occuper d’ennuis elles-mêmes, en confiaient la tâche à des personnes capables de s’en charger. Des mandats adressés à des aventuriers, ça doit te rappeler quelque chose Jocelyn. Je n’en compris, naturellement, pas un traître mot. Ils durent s’en rendre compte car ils n’insistèrent pas et me laissèrent m’en retourner pour me reposer.
Je restai encore une journée, ou deux, dans cette oasis de fraicheur dans le Thanalan. Portés par un regain d’espoir, les réfugiés reprenaient leurs activités avec plus d’entrain. Je me sentais bien à les observer de loin, sans me mêler, en attendant les prochains signes.
Je n’eus pas longtemps à attendre. Et je me mis en route sans attendre. Cette fois, mes pas me dirigeaient vers le nord. Je n’avais fait qu’aller globalement vers l’est depuis que j’avais commencé à fouler le sol du Thanalan. Mais cela n’éveilla absolument rien de particulier en moi. Je ne faisais que suivre la direction qu’on m’indiquait. C’était tout ce qui comptait.
J’arrivai rapidement dans une étrange ville. Construite en sous-sol, directement dans la roche du désert. C’était malin, je le reconnu aisément, la fraicheur y était maintenue par les épais murs naturel. Et l’ombre y était presque constante, de par la profondeur du gouffre autour duquel les bâtiments étaient construits. Plusieurs accès permettaient de remonter à la surface, au plus chaud du désert. Mais le cœur de la ville conservait la fraicheur de la nuit. J’étais ébloui par cette ville, le camp des Os desséchés.
J’installai mon petit campement au nord du gouffre, à flanc de rocher, je n’aurai pu m’installer en bas, j’y avais la sensation d’être un prisonnier entre quatre murs, ne pouvant voir le ciel qu’à travers l’ouverture, comme un infime faisceau, un minuscule échantillon de ciel. Je préférai devoir remonter à la tombée de la nuit et pouvoir profiter pleinement de l’étendu la plus vaste que m’offrait la voûte céleste. »