[Récits divers] Kohjen Kagon

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Narma
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[Récits divers] Kohjen Kagon

Message par Narma » 31 mai 2019, 11:52

Le Cycle


Et ainsi, à chaque nuit, vint la chamane, pour saluer les dieux et esprits...

De la nuit installée, on entendait seulement les sons aiguës et rythmés émis par les grillons, et les craquements chauds des feus qui luisaient au milieu des herbes folles. Puis s’éveillait le pas enveloppé de voiles sombres et brillants de lueurs, comme imitant le ciel lui-même, de la Kagon qui quittait son abri. Le geste était le même, à chaque crépuscule bien amorcé. Elle allait poser la buche dans le feu, et étendait une petite couverture face aux flammes, prenant avec elle ses biens rituels, sa petite statuette votive représentant Nhaama, le parchemin roulé de sa carte du ciel de naissance, les tablettes de ses ancêtres, la coupelle où elle plaçait la graisse mêlée de quelques herbes et bois séchés qu’elle mettait à bruler, et enfin, son tambourin.
Vêtue de ces tissus qui la protégeaient à peine, ses boucles couleur de vin cascadant de disques d’or et de perles luisantes, elle se plaçait, à genoux, pour disposer ses biens sacrés, les odeurs de l’encens se mêlant à celles du bois crépitant. Prenant son tambourin pour se donner un rythme, une pulsation, elle inspirait alors, laissant ses pensées encore ensommeillées vagabonder librement, pour qu’elles s’évaporent simplement. Les sensations de son corps et de son environnement ne venaient faire qu’un seul étrange bain dans lequel se plongeait son esprit, lequel, peu à peu, perdait pied avec lui-même, pour venir écouter les battements du monde. Alors, dès qu’elle s’en sentait prête, elle élevait alors la voix, dans sa langue qui roule et danse, dans son exotique au ri, de l’accent qui semble chanter la chaleur du jour, le froid de la nuit, les oasis, les grains de sable qui s’étendant à perte de vue :

« Se présente à toi, Ô Nhaama, une de tes filles bien aimées, pour t’appeler, t’écouter, te ressentir.
Mère de toutes choses, ton œil si grand me suit à chaque jour, d’immense à éteint,
Car comme toutes choses nait, et vie, toute chose meurt, pour que se perpétuent les choses,
Car comme la femme est enfant, elle finit par être ronde, par être mère, et s’éteindre à son tour ,
Car comme le don de vie que tu nous as donné, nous saignons, au cycle de ton œil qui s’ouvre et se ferme.
Nhaama, une de tes filles se présente à toi, la voilà, pour t’honorer »


Les yeux dans l’œil, la voilà ainsi déclamant, se perdant dans son adoration, pour revenir visage face à terre, basse et fervente. Ses mains se joignaient alors, se posent sur la représentation votive, aux traits à peine esquissés, aux quatre cornes imposantes garnis de boucles lourdes, tombant jusqu’aux pieds, comme enveloppant cette déesse aux formes charnues, maternelles, en pierre noire piquetée de blanc, l’œil unique en os, l’autre n’étant qu’une orbite vide.
Ses mains se posent alors sur les tablettes, dont elle énonce, en salutation, les titres héroïques :

« Khan des Khan, haut dans le ciel, toi et ta horde de fidèles, ta descendante te salue bien bas, et souhaite ton retour sur la terre, parmi nous, pour nous gouverner et protéger du Destructeur.
Udgan aux milles vœux, belle et sage entre toutes, épouse loyale, guide de notre peuple, tu nous honores de ta magie et ta descendante t’honore en retour.
Terreur céleste, Böo protecteur, ta colère fut de voir ton peuple presque anéanti, et Nhaama te souffla alors sa puissance. Ton bâton invoqua la fureur des cieux, et ta descendante s’émerveille de cette grandeur face à l’adversaire.
Lance lunaire, bras armé de Nhaama, tu frappais l’ennemi de milles coups acérés. Les Kagon chantent encore et encore tes louanges, et ta mémoire donne le courage au guerrier. Ta descendante loue aussi ta force.
Flèche sifflante, nulle cible ne fut trop rapide pour ta monture, et tes actes te placèrent haut dans le ciel. De chaque corde tendue, un monstre d’Azim fut abattu. Ta descendante t’appelle à avoir ta dextérité.
Longs pas, celui qui vainquit l’immensité des terres brûlées par le Destructeur, et alla jusqu’aux bords du monde connu, pour trouver là où le ciel et la terre se rejoignent, ta présence parmi le ciel vient célébrer ton éprouvant récit, et ta descendante réclame l’endurance de ton pas en son voyage. »


A chaque titre énoncé, la voilà qui levait avec fougue la tablette évoquée, celle de l’Ancêtre tant aimé, l’un de ceux que les Kagon avaient retenus comme les lueurs les plus vives de la chevelure de Nhaama. Et après, les avoir tous énoncés, elle s’inclinait à nouveau, ses mains parcourant les tablettes comme pour en percevoir les reliefs, percevoir la vie à travers le froid des matières.
Elle revenait alors, pour reprendre son tambour, inspirer les odeurs, sentir les sensations de ses jambes contre le sol, revenir du ciel, jusqu’à la terre, et appeler à nouveau, avec la voix :

« La fille de la Nuit vient saluer ceux qui errent, ceux qui hantent, les esprits qui voguent et chuchotent dans l’obscurité, ceux qui sont le souffle sur les dunes, les murmures dans le vent, le rugissement dans les tempêtes. L’enfant de la Mère de tout salue ceux qui n’ont rejoins la chevelure de notre créatrice, ceux qui ont la vie ôtée par le Destructeur, et qu’il a laissé, perdus à jamais. Je vous appelle, prête à vous entendre, prête à vous aider, prête à ce que vous m’entendiez, prête à ce que vous m’aidiez. »

Le son du tambour laissait chancelante sa tête, son esprit, qui se perdait dans certaines contemplations derrière ses paupières closes. Le geste monotone finit bientôt par perdre sa cadence, jusqu’à s’éteindre, laissant la Kagon reprendre le fil de ses pensées, saluer une dernière fois les dieux et esprits, les remerciant, avant de se relever. L’habitude de la vie lui revenait alors vite, elle mangeait une petite collation et buvait doucement un peu de lait, réunissait ses affaires pour les ranger à leur place. Le reste de la nuit venait alors, pour qu’elle vive jusqu’au lever du jour, et recommencer alors, le même cycle…

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