[Flashbacks] Murasaki Meiken

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Yui
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[Flashbacks] Murasaki Meiken

Message par Yui » 25 mai 2017, 08:21

La masse.

Perchée sur la selle du cheval de son père, Murasaki contemplait d'un regard pleins d'étoiles la silhouette carrée de Gyôzuke qui se découpait sur le couchant. Lui et Tamenaka étaient torse nu, leurs cheveux longs relevés sur la nuque, les ornements de leurs cornes remisés dans une poche, les bras sortis des manches d'un kimono de travail dont le tissu relâché leur tombait sur les hanches ; ils alternaient à deux des coups de masse qui eussent arrêté un buffle en pleine course. Chacun des impacts solidement ajusté enfonçait un peu plus un piquet dans la terre, puis ils passaient à un autre. Ce travail de paysan laissait encore Murasaki dubitative. Comment se faisait-il que Gyôzuke, seul et unique enseignant de l'école de la Lame qui vient de l'Ombre, acceptât de salir son image de Maître sur des travaux de force quand lors de leur première rencontre, celle qui avait déterminé son adoption, il lui avait paru si terriblement éclatant, auréolé de l'écrasante splendeur des seigneurs ?

Un hyur - il avait quinze ans - faisait le pitre depuis l'arrivée de la jeune fille au côté de son père. Il était demeuré près des chevaux soit-disant pour les garder pendant que Gyôzuke et Tamenaka qui étaient venus voir comment avançaient les travaux sur la zone récemment arrachée à la friche de la montagne, avaient démonté pour se mêler aux travailleurs. Le hyur pérorait, bombait le torse et carrait les épaules dans l'espoir de paraître plus imposant aux yeux de la jeune dame. Quelqu'un finalement s'en offusqua parmi les villageois et l'appela pour qu'ils vînt à son tour prendre une masse et s'occuper de monter également la clôture. Conscient du regard de Murasaki qui pesait sur ses gestes, le garçon attrapa la masse, tâcha de la garder dans une seule main sans fléchir, l'arma puissamment en levant les bras au-dessus de sa tête et dans un grand ahanement de forgeron, s'abattit le fer sur les orteils. Il étaient en geta.
Le hurlement de douleur fit converger vers lui les six travailleurs du champ qui s'empressèrent de venir l'aider à s'asseoir. On discuta pour savoir quoi faire, puis il fut conclut que même si l'on avait l'habitude de travailler un peu plus tard après le coucher du soleil, il valait mieux rentrer.

Gyôzuke à qui la scène du second paragraphe n'avait pas échappé, avait rejoint sa fille et resserrait la sangle de sa selle. Il jeta un coup d’œil à Murasaki qui n'avait pas quitté l'attroupement du regard. En maître sentencieux, il ne pouvait se permettre de laisser passer la leçon :
"L'homme honorable trouve toujours le travail digne. Ne te fie pas à un mâle qui ne sait pas se servir d'une masse pour planter des piquets."

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