Village Kumo
Yanxia
Jour 1
Yanxia
Jour 1
Il y a environ un an...
Par-delà les montagnes au nord de Yanxia, alors que l’aube illuminait la région de ses premiers éclats et enveloppait le versant ouest d’un manteau cuivré, les tambours de guerre retentirent.
Les veilleurs de nuit n’eurent que quelques minutes pour annoncer la menace qui approchait, acheminant par un relai l’écho du signal jusqu’aux frontières du village Kumo. La quiétude matinale fut immédiatement remplacée par le heurt d’une réalité oppressante. Un vent de panique souffla, contraignant les habitants à se préparer précipitamment à la visite de leurs bourreaux. L’Empire arriverait bientôt.
Nichée au plus haut de la demeure familiale, sur un balcon qui surplombait le village, Kusakari no Mizuki scrutait l’horizon d’un regard à la fois triste et résigné. Face à l’agitation naissante en contre-bas, elle semblait garder un calme olympien. La fille aînée du daimyo ferma ensuite les yeux, méditant longuement.
Son apparence était soignée. Elle était vêtue d’un kimono blanc immaculé qui lui tombait jusqu’aux pieds et dont les quelques broderies étaient parsemées d’or. Le tout s’accessoirisait d’une parure sertie de rubis brillant d’un rouge intense, référence au blason des Kusakari. Ses longs cheveux blonds étaient impeccablement coiffés et tirés vers le haut pour former un chignon sophistiqué, tenu par deux larges épingles aux perles scintillantes.
Tandis que la jeune raenne méditait encore, seule face au grondement lointain de l’ennemi qui approchait, la porte coulissante de sa chambre s’ouvrit à la volée. La silhouette d’une domestique se dessina alors dans l’encadrement. Celle-ci pénétra dans la pièce à la hâte, l’air tout aussi paniqué que le reste du village.
- Mi…Mizuki-hime ! Bafouilla-t-elle. Kusakari-sama souhaite vous voir de toute urgence !
Mizuki rouvrit paisiblement les yeux, sa sagesse contrastant avec l’anxiété ambiante. Elle tourna la tête vers l’arrivante et acquiesça avant de sortir du balcon pour la suivre. Quittant l’endroit, les deux femmes marchèrent le long d’un couloir désert sans échanger le moindre mot. La démarche de Mizuki était bien plus légère que celle de sa suivante. Elle continuait de garder une expression monocorde pendant que l’autre marchait vite et paraissait plus crispée.
Arrivées devant la Grande Salle, toutes deux s’arrêtèrent un instant. La domestique sembla hésiter avant de finalement coulisser la porte pour laisser entrer sa princesse.
A l’intérieur, plusieurs personnes attendaient déjà. Une demi-douzaine de samouraïs se tenaient de part et d’autre du daimyo, le dos droit et l’air plus inflexible que jamais. Le suzerain, quant à lui, se surélevait de quelques marches et était agenouillé sur un coussin à même le sol, face à son fils Kintarou, héritier du clan. Il paraissait encore plus austère que ses bushis.
Le regard améthyste de Mizuki balaya la salle avant de s’attarder sur son frère aîné qui s’était tourné vers elle après son arrivée. Il avait l’air particulièrement courroucé et adressa à sa sœur un regard fataliste. Cette dernière s’avança donc jusqu’à lui, silencieuse, puis s’inclina respectueusement vers leur père, bien bas.
- Bien, vous voilà enfin tous les deux, commença le daimyo en s’adressant à ses enfants, le ton solennel. Nos sentinelles ont aperçu ce matin un régiment de soldats impériaux qui foule actuellement nos terres. Comme vous le savez déjà, la révolte des résistants domiens est un échec et le peuple yanxien doit désormais subir les conséquences d’une telle défaite. Bien que nous ne sachons pas encore quel dessein il nous est réservé, nul doute que l’ennemi qui sonne actuellement à nos portes vient avec une nouvelle politique d’asservissement. Les soldats seront là dans moins d’une heure…
- Nous les attendons de pied ferme ! Coupa Kintarou. Les résistants ont certes échoué mais les pertes impériales restent nombreuses. Nous pouvons encore repousser l’assaillant !
Le daimyo fronça les sourcils, désapprobateur. D’un simple regard, il fit taire son fils qui détourna les yeux en se résignant avec agacement.
- L’heure n’est plus à guerroyer. Votre cadet, Kyokai, se tient à la tête de ce régiment. Je compte l’accueillir comme mon fils et non comme un traître. Nous verrons à cet instant la nature de ses ambitions.
Le choc de cette révélation se traduisit par l’expression médusé que partagèrent simultanément Kintarou et Mizuki. Un lourd silence s’ensuivit alors. Tandis que la fille arborait une mine de plus en plus tourmentée, le fils, lui, s’attisait d’une haine farouche.
- Comment ?! S’indigna-t-il. C’est de la folie ! Laissez-le entrer et je trancherais moi-même la tête de ce traître !
- Cela suffit, Kintarou, dit Mizuki en prenant la parole pour la première fois, l’air à la fois sage et ferme. Les décisions du daimyo ne pourraient être raillées, il s’agit là de nos plus illustres traditions. De plus, Kyokai est notre frère et jusqu’à ce que les portes de l’Aube lui soient ouvertes, nous devrons le considérer comme tel. Nous n’avons pour le moment aucune certitude de ses intentions et je rappelle à tous que l’Empire n’a que trop souvent assujetti les domiens contre leur gré. Il faudra nous entretenir avec lui pour déceler ses réelles motivations…
Un nouveau silence s’imposa, moins pesant et plus admiratif cette fois. Le suzerain sembla s’adoucir une seconde en adressant un regard satisfait vers sa fille pendant que Kintarou hocha à peine la tête en signe de capitulation.
- A vrai dire je compte le recevoir seul, corrigea le daimyo. Je garde le profond espoir que mon fils n’ait point cédé à la corruption mais si tel est le cas, je ne peux vous faire encourir le moindre risque. Nous devons être préparés à toute éventualité. Ainsi, j’ai missionné Chikanori de vous escorter jusqu’aux terres de l’Est afin d’assurer votre sécurité. Vous partez immédiatement.
En entendant son nom, le samouraï qui se tenait à droite du daimyo s’inclina vers les deux héritiers pour se manifester. Mizuki lui répondit par un sourire aimable, rapidement remplacé par une mine plus sombre. Pendant ce temps, Kintarou s’avançait d’un pas pour protester.
- Vous m’insultez, père ! S’insurgea-t-il, oubliant vite les remontrances de sa cadette. Quel genre de bushi serais-je si je fuyais devant l’ennemi ? Cela va à l’encontre de nos principes !
- Silence, enfant impertinent ! Tu es l’héritier du clan, celui qui me succédera. Tu seras à ce village bien plus utile vivant que mort. Le pouvoir engendre son lot de sacrifices et il te faudra parfois partir comme un lâche pour revenir comme un héros. L’ordre est donné, que tu le veuilles ou non.
L’aîné grinça des dents. Il voulut rétorquer mais Mizuki l’en empêcha, faisant à son tour un pas en avant en fronçant les sourcils vers son frère.
- Pardonnez-moi, père, mais je crains qu’il nous faille décliner l’aide de l’honorable Chikanori, annonça-t-elle d’une voix douce et apaisante. Les kamis m’ont récemment soufflé la prophétie d’un funeste destin. Je n’ai su déceler précisément les murmures divins mais tout porte à croire qu’une tragédie touchera bientôt le clan. J’ai moi aussi l’espoir que mon cadet ne soit pas mêlé à toute cette affaire mais si, par malheur, nous nous trompions, je présage l’ombre d’une bataille. Il vous faudra alors être accompagné de vos meilleurs guerriers. Nos samouraïs seront, j’en suis persuadée, d’une plus grande efficacité ici. Je vous encourage donc à nous laisser partir seuls.
La jeune femme marqua un court silence. Elle tourna doucement la tête vers l’ensemble des bushis présents dans la pièce et accorda à chacun un sourire qui se voulait rassurant. Enfin, elle posa délicatement une main sur son cœur et poursuivit son monologue, l’air plus sage que jamais.
- Ces montagnes sont notre berceau depuis déjà plusieurs décennies, nous parviendrons à nous y frayer un chemin sans mal, je vous l’assure. Aussi, les talents martiaux de mon aîné ne sont plus à prouver et suffiront grandement à nous mener jusqu’aux steppes. Il est le général de votre armée, après tout…
Kintarou haussa les sourcils, visiblement étonné de recevoir un éloge dans ce flot d’hostilités, et accorda à sa sœur un sourire furtif. Le suzerain sembla partager cette fierté et se dérida à son tour.
- Ainsi la première fille se fait encore porteuse d’une sagesse salutaire, déclara ce dernier en honorant la raenne d’un hochement de tête quiet. Soit, j’ai entendu ta requête et j’y concède. Empruntez la Porte du Báihu, elle vous ramènera directement sur le versant Est. Lorsque vous serez parvenus aux steppes, rejoignez le Ralliement et attendez la venue d’un shinobi. Si celui-ci ne vient pas dans les huit jours, considérez que le village n’est plus. Partez, maintenant… Nous n’avons que trop perdu de temps.
Ces dernières paroles conclurent l’entretien et les deux enfants adressèrent une gracieuse révérence à leur père avant de s’éclipser, meurtris par ce qui ressemblait à des adieux pudiques.
En abandonnant Kumo, les aînés constatèrent que le calme était revenu. Les tambours de guerre ne grondaient plus, les rues étaient désertes et la tension environnante devint écrasante. Il n’y avait pas un bruit, pas même le sifflement d’une brise si ce n’est le croassement d’un corbeau qui survolait la place centrale du village. Mizuki leva la tête dans sa direction et fut prise d’un tout nouveau tourment…
La mort était là.