Un premier départ
Khorijin s'éloigna du feu de camp où étaient restés ses compagnons d'armes.
Elle voulait partir avant que la nuit ne soit totalement noire et que les braseros qui éclairaient les routes marchandes soient complètement éteins. Mais trouver le courage de leur annoncer son départ avait été plus difficile qu'elle l'aurait imaginé, leur regards et leurs jugements sur sa décision étaient plus durs à affronter que n'importe quel combat.
Deimos avait compris qu'en la laissant partir, l'Alliance serait un peu plus affaiblie et la Compagnie plus vulnérable, comme une armure incomplète. Elle y avait pourtant longuement réfléchi et devant les obstacles multiples qui se mettaient à présent devant leur route, la Xaela été convaincue que son choix était le bon.
Elle vint enrouler Serre noire dans une étoffe de laine, son seul bien de valeur qu'elle avait à offrir comme tribut, venant l'apporter au Khan des Jhungid devant lequel elle s'inclina. Son fils avait fait passer sa requête un peu plus tôt, peu singulière mais démontrant le respect qu'elle avait eu pour leur accueil et pour le cheval qu'ils lui prêteraient pendant sa traversée. Elle laissa alors là son arme la plus efficace et la plus précieuse, devant le trône du vieux Xaela vêtu d'une peau d'Ours qui lui avait donné son approbation, avant de quitter sa grande yourte.
Dehors, un guerrier Xaela portant les couleurs de la tribu l'accompagna jusqu'au chevaux, il lui confia une lance d'une facture bien inférieure, mais qui suffirait à la Dotharl pour se défendre dans la Steppe, puis il vint lui apporter une jument à la robe aussi pâle que la lune, lui souhaitant courage et force pour son voyage.
La Dotharl s'approcha pour caresser l'animal et l'habituer à sa présence, à son odeur, lui chuchotant quelques mots dans son dialecte en observant l'étendue à peine éclairée par les astres qui les attendaient toutes les deux.
Elle passa alors un long moment à préparer sa monture, brossant sa crinière et sa robe blanche puis vérifiant l'état de ses sabots pendant que Jhungid Iloh s'endormait petit à petit. Quand elle commença à harnacher sa monture et la charger des quelques vivres qu'on lui avait gracieusement offert, elle aperçut la silhouette de Deimos s'asseoir sur une roche non loin d'elle.
Khorijin tourna son attention vers lui en silence, devinant déjà la raison de sa présence à son départ qu'elle avait pourtant voulu rapide et discret, désapprouvant intérieurement l'idée de fuir un combat auprès de ses compagnons. Se figeant quelques instants en regardant le Malaguld, elle attendait qu'il commence son chant, comme attendant une permission qu'il lui donnerait de la laisser partir vers les siens.
Avant de commencer son morceau, il jeta une poignée de poussière dans l’air, un peu de terre de la steppe qui s’envola en volutes, puis il prononça ces quelques paroles.
"Fille de Nhama, retournant au clan des Dotharls,
Les héros d’antan accompagnent ton voyage,
Ton cheval vole à travers l’étendue sauvage,
Ses sabots effleurent la terre dans un murmure,
Et le vent efface vos traces d’un souffle pur"
Les héros d’antan accompagnent ton voyage,
Ton cheval vole à travers l’étendue sauvage,
Ses sabots effleurent la terre dans un murmure,
Et le vent efface vos traces d’un souffle pur"
Alors qu’elle terminait de se préparer, le conteur Malaguld poursuivit en jouant une mélodie sur sa flûte, taillée dans un os long. Une brise éthérée sembla se former autour de la Xaela et son destrier, l’entourant avant de s’estomper.
Khorijin glissa Asha dans un sac en peau, à l’abri du vent froid de la nuit, ajusta les dernières sangles de sa monture et mis le pied à l'étrier, s'installant sur la selle.
Serrant la bride entre ses gantelets de métal, elle regarda une dernière fois Jhungid Iloh avec une pointe de regret qui fut impossible à chasser sur l'instant. Elle aurait ignoré cette sensation il y a encore des années, mais en cet instant il lui rappelait le jour ou elle avait quitté sa tribu et sa famille depuis les montagnes glaciales d'Azim. Quitter une famille pour en rejoindre une autre.
Relevant le menton, la Dotharl lança un dernier regard à celui qu'elle considérait comme son frère, exerçant une légère pression sur les flancs de la jument pour la lancer vers les étendues noires et sauvages.
Elle continuait d'entendre le son de la flûte de Deimos, porté par le vent soufflant dans son dos, alors que les sabots de son cheval étouffaient petit-à-petit la mélodie.
Pendant un instant, son œil capta une silhouette familière sur un promontoire rocheux dans la continuité du territoire du campement. Plissant les yeux, son regard azur reconnaissait l'ombre massive et immobile au loin.
Khorijin l'observa en silence, son cœur serré. Chacune de ses longues séparations avec Jaghatai avait mené à des événements marquants de sa vie qui se terminaient toujours dans le sang et annihilant ce qu'elle avait construit, comme si Nhaama elle même leur interdisait de s'éloigner l'un de l'autre ou les avait maudits à jamais pour avoir défié la mort.
Déglutissant, la Dotharl exerça une nouvelle pression sur les flancs de l'animal, le relançant au galop dans la Steppe sous le manteau d'étoiles.
Sa crinière immaculée flottant au vent avec celle de la jument blanche, la sensation désagréable de laisser ses compagnons derrière elle laissa place à d'autres émotions ; celle de liberté et de puissance, comme un animal qui goûterait à la liberté après avoir été en cage trop longtemps. Son cheval et elle ne faisant qu'un sur le sol qui l'avait vu naître et grandir, la magie de la mélodie du Malaguld les poussant sur les routes marchandes sans fatigue pendant toute la longue nuit, le vent les portaient toute les deux ; lestes et rapides.
La nuit défila sous les foulées infatigables de la jument, les deux sauvageonnes de la Steppe réussissant tant bien que mal à éviter les dangers de la faunes et du Tsagan Tsaar.
Et alors qu'Azim montrait ses premiers rayons à l'aube, elles sentirent l'effet de la magie de Deimos s'estomper. La Xaela mit pied à terre, venant tirer doucement la bride de sa courageuse jument vers la rivière qui leur offrirait un peu d'eau fraîche.
Tapotant l'encolure de la bête, Khorijin releva le regard en souriant, admirant au loin les Yourtes roses et vertes des Qestir.