[Anecdote] Payer ses dettes

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Khorijin Dotharl
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[Anecdote] Payer ses dettes

Message par Khorijin Dotharl » 11 oct. 2018, 19:13

Le dernier entracte d'Otagi.

Hisauji no Otagi était depuis quelques lunes maintenant l'heureux propriétaire d'un petit Théâtre au cœur de Shirogane, non loin de la place centrale d'un quartier des plus animés de l'île Hingashienne. Jeune homme originaire d'une province d'Hingashi, il avait à cœur les traditions de son pays natal malgré ses trente printemps.
Otagi était un rêveur, le théâtre l'avait toujours attiré, les légendes, les histoires, tant de choses à raconter et à faire connaître.
Il était aussi amoureux de la grâce des Geisha que du doux parfum d'un thé servi à la perfection.

C'est dans cet optique qu'il avait ouvert son petit commerce, rêvant de faire rêver les autres. Mais si il avait tout pour réussir, Otagi manquait cruellement de clients depuis que les étrangers s'étaient peu à peu désintéressés de l'Orient.
Les recettes étaient de plus en plus mauvaises, et fermer n'était pour lui pas envisageable, tant il en aurait le cœur brisé.

Alors, Otagi se tourna vers d'autres solutions, certes discutables, mais avec les bons contacts, les bonnes personnes et les bonnes paroles, les gils étaient revenus. Glissant d'une main à une autre dans les ruelles, promettant des recettes toujours meilleures et bien entendu, un remboursement en temps et en heures à ses chers créditeurs.

Le temps...C'est La seconde chose qui manquait à Otagi aujourd'hui. Et hélas, ses promesses ne suffisaient plus, il sentait depuis quelques jours comme une épée de damocles au dessus de sa tête si la solution tardait à venir.

Mais la solution avait aujourd'hui un visage. Du moins, elle avait une silhouette. Une jeune Geisha des quartiers de Rakuza, formée dans l'un des bâtiments les plus prisés de Kugane.
Sa carrière débutait à peine, une aubaine pour la jeune artiste que de présenter ses talents dans un si beau théâtre, et une aubaine pour Otagi que d'avoir un nouveau souffle sur sa petite scène.

Pour l'occasion, la jeune femme avait même suggéré une liste d'invités particuliers, des gens importants, pour une représentation privée.

C'est avec un sourire, confiant, qu'Otagi accueilli un à un ses invités. Cette soirée serait l'occasion de relancer son petit Théâtre et de faire découvrir un nouveau spectacle à une toute nouvelle clientèle.

Un à un, la dizaine de personnes qu'attendait Otagi fut reçue à l'étage, au petit salon de thé où la jeune Geisha et une Meiko avaient préparé du thé dans le respect de la Cérémonie, ainsi que des petites pâtisseries tout à fait traditionnelles.

Les convives dégustèrent alors les mets Hingashien pendant qu'en bas, le spectacle se préparait.
Otagi promettait déjà à tous ces nouveaux visages, une représentation exceptionnelle ! On disait de cette Geisha que ses yeux seraient couleur de pluie et que ses danses envouteraient ceux qui les regardent !
Ces exagérations ne manquèrent pas de faire rire quelques personnes, piquant néanmoins la curiosité de chacun.

A l'heure, Otagi frappa dans ses mains, confiant. Le stress commençait à se faire sentir, son cœur s'agitant peu à peu dans sa poitrine.

Ce soir, son Théâtre allait renaître.

Minutieusement, il installa un à un ses si précieux clients.
L'homme du Seikiseigumi fut assis au milieu, heureux de pouvoir accueillir un membre de cette prestigieuse garde.
Le marchand d'Occident juste à sa gauche, pour lui témoigner tout le respect qu'il lui accordait.
Le Samuraï d'un important clan d'Hingashi juste à sa droite, lui accordant la dernière place la plus important parmi ses convives.

Il plaça ensuite les six autres personnes de part et d'autre de ces trois grands personnages, faisant en sorte de respecter leur statut et de ne vexer aucun d'entre eux. Marchand, Veuve d'un Samuraï, Batelier, Docker...Il ne fallait négliger aucun d'entre eux, tous étaient de potentiels espoirs pour son petit Théâtre.

Le cœur battant un peu plus fort, Otagi s'épongea doucement le front du revers de la manche, la gorge nouée. C'est maintenant que tout allait se jouer.

Il alluma quelques lampions, tira les fenêtres et fit signe à la jeune Meiko sur la scène de commencer à jouer de son Shamisen.

La petite Hyure au chignon impeccable commença alors à faire danser ses doigts délicats sur les cordes, entamant un air envoutant et mystérieux qui ne manqua pas de capter l'attention de tous les spectateurs.

Avec une lenteur toute mesurée, deux getas de bois vinrent claquer sur la scène. Otagi leva lentement les yeux depuis ses pieds dénudés, déglutissant lentement, jusqu’à l'élégante tenue noire qui enveloppait l'artiste. Les motifs sur sa robe peints à la main étaient tout aussi raffinés que le fin ruban de soie rouge cousu sur les bordures de son Kimono. Une magnifique étoffe de la même couleur venant enserrer sa taille si fine.
Son visage, lui, était masqué par une créature de bois, ne laissant entrevoir que des lèvres écarlates, peintes à la perfection, alors qu'une cascade de cheveux d'ébène, lisses comme une rivière, étaient coiffés dans une création complexe, décorés de quelques piques à cheveux ornementées.

Otagi s'épongea de nouveau le front, cette Raen était vraiment magnifique.

Lorsqu'elle commença à onduler en rythme au son du Shamisen, Otagi eut un léger vertige, s'étonnant lui même. Les rumeurs disaient elles vrai ?!

La Geisha aux écailles d'albâtre maîtrisait chacun de ses gestes, de ses doigts fins jusqu’à ses getas qui galopaient comme un cheval dans la Steppe d'Azim sur le bois laqué du petit Théâtre.
Elle tournait, virevoltait, basculant à gauche, puis à droite, comme une ombre, un Yokai dansant dans les brumes. Tant et si bien qu'il commençait à avoir du mal à suivre ses mouvements.

Plissant les yeux, Otagi fut interrompu dans sa concentration par une quinte de toux qui lui montait à la gorge. Retirant sa main de devant sa bouche, il se surprit à la voir teintée d'un peu de sang.
Il cligna des yeux, essayant de suivre la silhouette qui ne cessait de danser devant eux. Il fronça légèrement les sourcils lorsqu'un son sourd vint couvrir le doux son du Shamisen. Tournant le regard, il observa le Samuraï face contre terre, immobile, sous les yeux stupéfaits de certains de ses spectateurs.

Horrifié, Otagi voulut courir vers l'homme, mais ses jambes se dérobèrent sous lui, se retrouvant également contre le plancher de son propre théâtre.
Une nouvelle quinte de toux, plus forte, vint étaler un peu de son propre sang sur le sol laqué.
Pris de panique, il tenta de trouver quelqu'un du regard, ouvrant les yeux sur la silhouette de la Raen, toujours en mouvement au rythme de la musique, ignorante à ce qui se déroulait devant elle.

Au son de l'instrument de la Meiko vint alors s'ajouter un concert de toux rauques et de gargouillements. Tous en cœur, les uns après les autres, les clients du petit Théâtre chantaient cette même mélopée alors qu'ils repeignaient le sol de leur propre fluide vital.

Chancelant, Otagi releva son buste pour observer le désastre. Ses chers invités se tordaient de douleur au sol, affectés du même mal, alors que d'autres étaient déjà inertes. Un seul se tenait encore debout, au centre des places, horrifié et tétanisé.

Déglutissant avec difficulté, il leva les yeux vers le démon qui continuait à danser sur la scène. Ses mouvements étaient pourtant si parfaits...
Ironiquement, il n'eut pas à se questionner sur les raisons de la situation, l'épée de damoclès était tombée et elle avait eut le délicieux goût d'un thé vert, et la ravissante forme d'une Raen.

Néanmoins. Otagi refusait de voir tout ses efforts éteins sans avoir son mot à dire. Son corps semblait se consumer de l'intérieur, mais il ne parvenait pas à crier. De ses dernières forces, il saisit un petit couteau ouvragé à sa ceinture, enjambant la marche vers la scène d'un seul coup, abattant l'arme sur la Geisha qui ne voulait cesser de danser.

Il se retrouva face à elle, sa course stoppée net. Émerveillé, il observa sa longue chevelure noire et lisse retomber sur ses épaules alors que la pique qui ne retenait plus sa toison était plantée dans son cou.
D'un geste aussi mesuré que les autres, le Silence des mille Pluies retira lentement son masque de bois pour fixer Otagi.

"Par les Kami, ses yeux sont magnifiques."

Dans ses dernières paroles qui n'existèrent que dans son esprit, Otagi retomba lentement sur le sol de la scène, dans son tout dernier entracte.

Le Shamisen se tu, et Sayuri releva lentement la tête vers ses invités.

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