Emancipation

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Cyrcée
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Emancipation

Message par Cyrcée » 18 mars 2016, 18:32

L'homme ouvrit violemment la porte de chez lui, rentrant d'un pas lourd. Ses yeux rageurs, bouffis d'alcool, firent le tour de la pièce sans clairement la voir.

"Femme !!" tonna-t-il "Viens ici !!!!"

Les hommes à la taverne s'étaient encore moqués de lui, il exsudait la colère veule. Il n'avait rien dit, faisant simplement un sourire mauvais, les regardant par en-dessous. Il lui fallait se défouler sur quelqu'un, et, comme toujours, c'était sa femme qui recevrait les coups qu'il était trop pleutre pour aller donner à ceux qui le méprisaient.

Il marmonna, tenant un peu difficilement sur ses jambes graisseuses, cherchant son punchingball attitré du regard.

Après tout, il l'avait accueilli ! Elle et sa bâtarde ! Elles mangeaient le pain qu'il ramenait non ! Alors ! Quoi de plus normal que se payer sur la peau des deux !

Une devant ses poings, l'autre….. Il irait la voir sur sa paillasse….. Plus tard.

Il ricana, et hurla à nouveau.

"Femme !!! Par les Douze si t'es pas là dans les dix prochaines……" Son regard se posa sur la petite table bancale au milieu de la pièce de vie.

Une bouteille trônait, avec un petit mot.

Il projeta son corps massif de Hyurois engraissé par l'alcool et la mauvaise viande vers la carafe couleur rubis et pris d'un mouvement brusque le mot qu'il éloigna de son visage, pour lire, les yeux plissés.

"Cher Miller.

Je suis allée faire des courses avec Nadia au Camps des Os Desséchés. Je te laisse de quoi manger, à côté de l'âtre et la bouteille. Ne t'en fais pas, nous dormirons sur place et nous serons de retour demain dans la matinée.

A bientôt !"

Il serra son poing, frustré. Ah ça n'allait pas se passer comme ca !!! Elle avait déserté le nid familial, l'empêchant de se calmer les nerfs et bien demain elle allait voir ce que…… Il se retourna vivement. Un souffle, juste une légère sensation de fraîcheur mais son instinct pourtant aviné se mit en alerte.

Il ne pouvait PAS y avoir de vent…..

Il tourna lentement sur lui-même, ses yeux furetant partout dans tous les recoins de la maisonnette plongée dans la pénombre.

La petite pièce, l'escalier montant aux chambres, dont les portes branlantes laissaient entrevoir la violence dont il pouvait faire preuve.

Encore un souffle…..

Il se retourna d'un bloc, pour faire face à la porte, une sueur âcre commençant à couvrir son visage bouffi.

Il se retourna à nouveau et poussa un cri étranglé en voyant la créature totalement vêtue de noir qui le regardait en penchant un peu la tête, un pied encore sur l'escalier, comme si elle en descendait alors qu'elle n'y était pas un quart de seconde avant.

A ses courbes que sa tenue soulignait, il sut que c'était une femme, dont il ne voyait que les yeux : deux amandes couleur ambre pailletés d'émeraude.

Il aurait pu se délecter de cette visions avec un sourire crasse si le regard de la femme masquée n'avait pas été aussi froid et sans émotion, un regard de prédateur.

Il fit deux pas en arrière et se heurta à quelque chose. Il se retourna à nouveau vivement, avec un autre petit cri de rat piégé, pour ne voir qu'une ombre noire. Il leva lentement les yeux pour fixer la deuxième chose qui l'observait tout aussi froidement que la première.

Immense, ses hanches étroites s'évasant sur un ventre plat et un torse large et puissant. Ses cornes effilées trahissaient sa race. Et une fois de plus, des yeux froids, d'un bleu encre, aux contours argentés ou plutôt un œil, l'autre étant laiteux, une cicatrice le barrant de part en part.

Il recula….. Secouant lentement de la tête. Des bruits, des murmures….. Il entendait des choses dans les tavernes qu'il écumait ! Des on-dit, des messes basses, mais lui ? Pourquoi lui ? D'ailleurs il croassa cette question vers les deux ombres si silencieuses "'Pourquoi ?! J'ai rien fait moi !!".

La plus grande des deux tendit un bras vers la bouteille et le petit mot chiffonné.

Miller compris. La "femme" et sa bâtarde n'étaient pas simplement partie, elles s'étaient créés un alibi.

Il balbutia quelque mot en se retournant vers la plus petite. Apres tout ! C'était une femme, elle pouvait être plus facilement amadouée non !!

"J'ai de l'argent, j'en ai de cccccôtés !!! Laiss…… laissez-moi partir et je vous donnerais tout ! Tout !"

La créature glissa vers lui, et, derrière son masque, elle sembla sourire en posant ses mains de chaque côté du visage de l'homme, penchant encore la tête, comme s'apprêtant à l'embrasser.

Le Hyurois fit un petit sourire, peut être allait-il vivre après tout !

Une torsion violente, un craquement. L'homme ne vit qu'un flash lumineux avant que sa nuque ne soit brisée.

La femme le lâcha en le poussant très légèrement pour qu'il atterrisse dans les bras de son complice qui réceptionna le corps comme s'il ne s'agissait que d'une simple poupée de chiffon.

Puis, tout s'accéléra, La cible avait été tué, mais il restait encore beaucoup à faire.

La femme se baissa rapidement, et délaça une des chaussures de l'homme juste avant que son comparse ne prenne le cadavre encore chaud à bras le corps pour le monter en haut des escaliers.

Sans un bruit, elle alla prendre la bouteille et la vida dans l'évier, alors que derrière elle le corps dévalait les marches, atterrissant lourdement en bas, la nuque déjà brisée.

Elle replaça la bouteille, sur la table, rajoutant un verre sale, avec le petit mot chiffonné bien en évidence.

La scène était prête : un homme saoul, seul chez lui, qui avait eu un banal accident domestique dû à tout aussi stupide lacet défait. Sa femme, loin de chez elle, ayant clairement été vue par bon nombre de témoins, accompagnée de sa fille, dans un camp très loin de chez elles.

Il ne restait plus qu'une chose à faire.

La femme pris une mine de graphite et s'apprêtait à dessiner une araignée sur le côté d'une des marches quand son comparse arrêta son geste.

Elle le fixa, étonnée, puis son regard se fit docile. Elle rangea la pointe noire et se leva. Ils sortirent aussi silencieusement et imperceptiblement qu'à leur arrivée. Deux ombres glissant dans l'obscurité.

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Le jour se levait quand deux clients ouvrirent la porte de la taverne du Coffre et du Cercueil. Deux simples aventuriers, couverts de poussière, venant prendre un petit déjeuner.

Quelques regards masculins effleurèrent les formes de la Miqo'te sans qu'elle ne sembla s'en offusquer. Grande pour sa race, les cheveux rouges aux mèches bleutés, des courbes sculpturales finement musclées, une pure beauté qui aurait dû être incendiaire si ses yeux couleur miel aux éclats vert n'avaient pas eu cette lueur froide et presque sans vie, calmant les ardeurs des plus téméraires.

Il n'y eu que la prostituée accoudée au bar, occupée à séduire un client, pour jeter un œil professionnel sur le Raen qui l'accompagnait. Immense, une musculature clairement développée, d’où la souplesse transparaissait, son visage et ses cheveux argentés dénotaient un âge avancé, des traits fins, qui avaient dû être beaux, un port altier, un regard vif et une façon de se déplacer qui sous-entendaient une vigueur encore ardente.

Ils s'asseyèrent un peu à l'écart et ne commencèrent à parler, à voix basse, qu'une fois le propriétaire des lieux leur ayant apporté leur commande, posant les tasses un peu fortement sur la table, en renversant un peu, avant de retourner essuyer ses verres, l'air renfrogné.

C'est elle qui commença, parlant d'une voix un peu rauque, d'une intonation douce et respectueuse :

"Dois-je arrêter de signer, Maître ?" Elle prit une gorgée de café, fixant le Raen en face d'elle.

Il riva son regard au sien, un léger sourire étirant ses lèvres :

"Oui ma disciple, tu n'as plus à le faire. Tes pairs te reconnaissent le droit de faire partir des nôtres"

Elle ne put que sourire à son tour, légèrement, une once de fierté pointant dans ses yeux, avant qu'une tristesse ne la remplace.

"Est-ce que cela veut dire que….."

L'homme se redressa un peu, laissant son regard parcourir la salle, tout en sirotant son breuvage. Une dizaine d'individus, parlant peu, certains encore endormis, d'autres déjà avinés, la femme au bar, outrageusement fardée cherchant son dernier client, le propriétaire des lieux, toujours à astiquer ses verres, son air bourru accentué par une épaisse moustache rousse lui barrant le visage. Une simple tranche de vie dans ce coin sec d'Eorzea.

La miqo'te attendait, sans montrer le moindre signe d'impatience.

Il revint planter un regard plein de douceur sur elle, son œil laiteux semblant capter toute l'invisibilité que son œil valide ne voyait pas. Bien moins aveugle qu'on ne pourrait le croire.

"Oui…. Il est temps pour toi de créer ta propre toile." Il lui sourit et posa sa main sur celle de la jeune femme.

Elle baissa la tête et enlaça leurs doigts, se perdant dans ses souvenirs.

Il était un des rares dans les deux mondes qu'elle avait connu, à qui elle avait autant donné sa confiance mais surtout son respect.

Pour ceux pensant la connaitre, elle n'était que froideur, sauvagerie, violence, et pour les plus imbus d'eux-mêmes, une créature dénuée d'une quelconque intelligence.

Et pourtant….. Elle avait réussi à le pister, le traquer, pour, une fois devant l'homme, s'incliner respectueusement, mettant un genou à terre pour lui demander de lui enseigner son art. Celui des ombres.

Elle ne lui avait rien caché, il savait tout d'elle, sa vie, ses blessures, ses faiblesses, ce qu'elle ne lui avait pas dit, il l'avait deviné.

Une disciple, voilà ce qu'elle était devenue depuis des mois. Sans jamais se poser de questions, elle avait obéit à la lettre aux préceptes de celui qu'elle considérait comme son Mentor, puis, au fils des jours, comme un Père qu'elle n'avait jamais eu.

Se créer une couverture, une vie publique, ce qu'elle avait consciencieusement fait en ouvrant son Dojo.

Se forger un petit réseau d'espions. Elle avait choisis des enfants, plus difficiles à repérer. A son tour, lentement, elle les avait entraînés. Ce n'était pas des tueurs, ils n'étaient pas là pour ça, mais ils étaient ses "Yeux", ceux de l'Araignée qu'elle était devenue.

Ne jamais parler de sa vie cachée, cela lui était souvent compliqué, mentir n'ayant jamais été son fort, mais elle y était parvenu….. Plus ou moins….. Mais personne ne l'avait percée à jour.

Puis, le plus compliqué : se faire connaitre des autres tueurs de l'ombre, comme elle aspirait à devenir, en trouvant des contrats, décidant qu'elle ne tuerait que des coupables, des êtres ne méritant pas de vivre.

Signer ses méfaits, non pas par fierté ou pour prouver aux clients qu'elle avait exécuté sa part de marché, mais pour eux, les "autres", ceux qui décideraient, le moment voulu, qu'elle n'avait plus à leur prouver ses capacités.

Et ce temps était venu.

Elle regarda leurs doigts enlacés, il n'avait pas bougé, sachant ce qu'elle allait lui dire.

Elle souffla, plus que ne prononça les mots.

"Est-ce que l'on se reverra Maitre ?"

Le sourire se fit plus triste.

"Non ma disciple. Tu es devenue une ombre parmi les ombres. Tu en as déjà vu, tu as appris à reconnaitre les tiens, par un regard, une attitude, mais jamais nous ne nous parlons véritablement. A part avec un écrit sur un mur, une lettre, un mot qui ne veut rien dire pour qui que ce soit à part nous. Pour eux, pour nous, tu n'es pas Cyrcée Askahutt, mais Shujaa Arachne….. Même ton surnom ne sera prononcé que dans nos alcôves les plus secrètes. "

Il se dégagea lentement de la douce étreinte de la jeune femme.

"Il ne te reste que deux choses à faire, la première, renforcer ta Toile…." Il allait continuer quand il vit un fin sourire malicieux se dessiner sur les lèvres ourlées de la Miqo'te.

Elle prit sa petite cuillère et la tapa légèrement sur sa tasse. Une petite musique tintinnabulante résonna. A peine avait-elle commencé que la totalité des clients, qui semblaient pourtant en pleine conversation ou avachis sur leurs sièges, se levèrent d'un seul homme et se dirigèrent d'un pas nonchalant vers la sortie. La prostituée monta avec son client, et le propriétaire lâcha ses verres pour descendre au sous-sol.

Ils se retrouvèrent seuls en une poignée de secondes.

Interloqué, il la fixa avant de rire sincèrement.

"Tu as fini ta Toile ma douce Araignée !"

Elle se mit à rire de concert, un vrai, franc, doux et rauque à la fois.

"Depuis un peu moins d'un mois, Maître. Les fils sont tissés mais les points d'ancrage sont à peaufiner."

Il soupira, souriant toujours en la regardant. Elle l'avait plus d'une fois étonné, à la fois forte et fière et pourtant si fragile. Elle allait lui manquer, il en était conscient, mais les Lois des Ombres étaient ainsi faites. Il retournerait auprès des siens, et ne serait plus son Mentor. Si par le plus grand des hasards ils se recroisaient en public, ils ne devraient même pas se saluer, simplement s'ignorer.

Il croisa les bras.

"Bien, alors plus qu'une dernière chose…. L'as-tu aussi réglé ?"

Il ne peut s'empêcher de rire en voyant la grimace qu'elle fit, le regard sombre.

"Non……"

"Tu n'as pas le choix, Shujaa, tu dois te trouver un partenaire. Nous ne dansons jamais seul. C'est une des règles, la plus importante. Deux voire trois, jamais un."

Elle tiqua quand il l'appela de son nom d'ombre, et non plus l'habituel "Disciple". La page venait d'être tournée.

"Je le trouverais Maitre……" Murmura-t-elle.

Un client rentra brusquement, hélant le propriétaire qui réapparut du cellier au même moment, son air bourru toujours présent.

Le temps des paroles était terminé.

Lentement, ils finir leur déjeuner, parlant de tout et de rien, mais surtout pas de ce qu'ils avaient le plus en commun.

Puis, Cyrcée alla payer. Quand elle se retourna, l'homme qu'elle avait aimé comme un père n'était plus là.
Ne jamais se fier aux apparences

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