[Récit] Par delà la brume.

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Tsubaki Nagae
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[Récit] Par delà la brume.

Message par Tsubaki Nagae » 22 nov. 2015, 15:16


Premier récit.
Il était une fois, il y a bien longtemps, à l'époque où les seigneurs de Doma régnaient encore sans partage, repoussant parfois les assauts des barbares des steppes, une vallée, parmi les vallées. Rien ne distinguait cette vallée des autres vallées, sauf peut-être qu'elle était plus brumeuse que les autres, les pentes plus abruptes, les pics plus escarpés. Peu de monde habitait dans cette vallée, peut-être à cause de cela. Mais quelques villages existaient néanmoins, malgré les pentes escarpées, la brume permanente, et les forêts denses et hostiles.

Mais malgré tout les gens arrivaient à survivre, et chaque jour brumeux après chaque jour brumeux, ils arrivaient à tirer suffisamment de la terre pour subsister. Puis, jour après jour, semaine après semaine, année après année, les familles s'étendirent, des villages se créèrent, et bientôt la vallée ne semblait plus aussi hostile, les pentes plus aussi raides, et les jours plus aussi brumeux.

Néanmoins, un jour, un villageois qui n'avait rien de spécial parmi tant d'autres, éprouva l'envie de courtiser une fille d'une famille plus riche et plus ancienne que la sienne. Cette femme, enivrée par le pouvoir tout à fait relatif qu'elle semblait pouvoir avoir sur l'homme qui s'empressait de la couvrir d'attentions à chaque fois qu'elle en émettait ne serait-ce l'idée, lui imposa une épreuve pour lui prouver son courage. Et, promis en retour, elle lui offrirait sa main. Il existait depuis longtemps, dans cette vallée, escarpée et brumeuse, mais plus si escarpée et brumeuse, la rumeur d'une mystérieuse pierre, luisant de toutes les couleurs et d'aucune à la fois, que les vieux villageois, aux mains trop tordues pour travailler, s'amuser à appeler la pierre des soupirs.

Selon la rumeur, celui qui trouverait cette pierre verrait un de ses souhaits comblés. Les vieux villageois, en racontant la fable aux enfants impatients insistaient sur le danger qu'un souhait représenter. Mais qui écoute les inepties des vieillards ? Et voilà le fier jeune homme qui commence, fou d'amour pour l'objet de ses désirs, à chercher inlassablement la pierre des soupirs. Jour après jour, semaine après semaine, inlassablement et au désespoir de sa famille, il cherche, retournant chaque feuille,chaque pierre, bravant parfois des monstres, ou des animaux sauvages pour contenter sa belle.

Nul ne sait exactement quel temps il passa à ses recherches, et, au fur et à mesure des saisons, tout le monde l'oublia, tout d'abord sa belle, puis ses amis, et enfin sa famille. Il cessa de paraitre à son village, sa belle finit par se marier avec un marchand gras et riche à souhait, et sa famille, de dresser une pierre tombale usée à son nom. Les saisons continuèrent à défiler, continuant leur danse éternelle, et bientôt la belle fût fanée et aigrie, et le marchand dans d'autres bras tout aussi intéressés. Elle se mit à regrette son jeune et beau soupirant de l'époque, parti en quête de son impossible frivolité, et elle même se mit en quête de ce dernier, comme cherchant le fantôme de saisons depuis longtemps envolées.

Jour après jour, inlassablement, elle se mit à retourner chaque feuille, chaque pierre, cherchant le souvenir de saisons meilleures, de saisons plus belles, tout du moins dans son esprit. Son marchand de mari ne fit guère attention à ses absences, trop occupé à compter et à vivre son agréable vie de profit, soulagé de l'absence de cette femme qu'il regrettait d'avoir épousé sur sa simple qualité d'être ce qu'elle était, trop vite passée à son goût.

Un de ces jours brumeux parmi tant d'autres, elle décida d'aller fouiller le fond des chutes de la vallée. Elle savait l'endroit dangereux, mais il fallait qu'elle le fasse. Défiant les mises en garde adressées depuis des années à l'encontre de cet endroit, elle commença à inspecter les parois dans le but de trouver quelque chose pouvant lui rappeler son souvenir d'un passé meilleur, d'un passé désireux.

Alors qu'elle allait abandonner, transie par l'eau froide, les pieds lacérés par les bris de pierre, les mains fripées, elle trouva une infractuosité où elle put se faufiler, avec difficulté, mais avec succès. Se retrouvant dans une grottre uniquement illuminée par la lumière naturelle venant d'au dessus d'elle, des dizaines et des dizaines de mètres au dessus d'elle, elle se mit à chercher une trace de son souvenir, comme à son habitude. Mais rapidement son oeil fut attiré par une pierre, posée à l'exact centre de la grotte, telle une offrande, scintillant de toutes les couleurs. Lorsqu'elle pris la pierre, elle la trouva comme chaude au toucher, et étrangement terne à y regarder de plus près. Elle n'était guère plus grande qu'un galet de rivière mais sa lueur avait quelque chose d'hypnotique. Et elle se mit à souhaiter ardemment le retour de son soupirant.
Elle entendit alors au loin un rugissement puissant. Rebroussant chemin, tout en tenant l'étrange pierre terne entre ses mains, elle se mit, mue par un sinistre pressentiment en direction de son village. Quand elle y arriva, elle trouva une scène de dévastation. Un immense monstre, ressemblant vaguement à un serpent à plusieurs têtes se tenait au centre du village, ravagé, il semblait aussi haut qu'une montagne, et aussi imposant que la rivière à son point le plus large de la vallée, occupant par sa simple présence le seul centre du village, les rares hommes armés tentant pathétiquement de résister avant d'être écrasé par la seule colossale taille du monstre.

Alors que les hommes fuyaient devant l'imposante bête, que les femmes hurlaient et les enfants pleuraient, l'imposante bête pris la parole. Nul ne fut étonné qu'elle puisse parler, sa seule présence défiant leur imagination. Elle leur parla en des termes que nul récit ne peut transcrire, mais la substance de ce qu'elle leur dit, le peut. Elle exigea que chaque printemps, une jeune femme du village lui soit livrée, dans sa quinzième année, précisément, à la chute des cascades de la vallée, et que dorénavant, nul n'était autorisé à aller à cet endroit. Et que si il ne lui livrait pas une jeune femme, chaque année, elle les dévorerait tous, eux, leur famille, leurs enfants, leurs amis, et tout le reste des villages de la vallée.

En entendant ces paroles, la femme aigrie qui fut autrefois la jeune aimée exigeante sue qu'elle était responsable de cette situation. Qu'il fallait prendre garde à ce que l'on souhaitait, sous peine qu'il se réalise. Mais elle ne put s'empêcher d'espérer impatiemment l'arrivée celui qu'elle aimait tant, malgré tout. Oui, elle ne pouvait s'en empêcher, au final, ce n'était pas si grave, et il arriverait suffisamment tôt pour empêcher une jeune femme de mourir.

Mais les saisons s'écoulèrent, recommençant leur valse éternelle et cruelle, indifférente au sort des villageois. Le seigneur de la vallée, craignant le monstre, ordonna aux villageois de satisfaire les exigences du monstre, ce dernier n'ayant que des fils, il ne craignait que peu l'échéance fatale. Une première jeune femme fut offerte au monstre gigantesque, à la date prévue, le premier jour du printemps. Elle était censée s'y rendre seule, et nulle ne la revit jamais. La femme aigrie se surprit à se découvrir enceinte, engrossée par son marchand de mari, et comme toutes les femmes de la vallée, elle se mit à prier d'avoir un garçon, pour qu'il échappe au sort cruel des femmes. Puis une deuxième fut sacrifiée. Et elle enfanta une fille, en bonne santé, qui fit son bonheur, et elle s'empressa d'oublier la pierre de toutes les couleurs, et sans couleur à la fois, rangée dans un coin de sa maison, et le sentiment tenace de culpabilité la tenaillant.

Et la valse des saisons continua. Une troisième, puis une septième, puis une quatorzième jeune fille fut sacrifiée. Et vint le tour où l'enfant, son enfant, l'enfant de ce qui était désormais une femme âgée, aux cheveux gris, et au dos ployant légèrement sous le poids des ans fut priée de participer au tirage au sort désignant le prochain sacrifice. La veille du tirage au sort, elle retrouva la pierre terne aux couleurs infinies, et ne put s'empêcher d'être rattrapée par le sentiment de culpabilité, qu'elle avait écartée jusque là. Ivre de douleur, elle ne put assister au départ de sa jeune fille pour le chateau du seigneur, où aurait lieu le tirage au sort.

Nul ne se souvient encore du tirage au sort, mais ce que l'on sait, c'est que ce fut sa fille, qui fut choisie. Lorsqu'elle l'apprit, la femme au dos légèrement ployant sous l'age se leva, et parti pour la forêt, malgré son marchand de mari, encore plus gras et riche qu'auparavant qui essaya de la retenir, serrant dans son poing la pierre terne aux couleurs infinies.

Au même moment arrivait, au château du seigneur, un homme de forte carrure, à la barbe noire épaisse et fournie, striée d'argent, témoin du temps et des ages qui passent, portant une étrange arme à lame demi-circulaire dans son dos. Il clamât haut et fort qu'il savait comment débarrasser la vallée de ce monstre, et qu'il pouvait le faire en échange du paiement qu'il souhaitait, mais qu'il révèlerait son prix qu'une fois qu'il aurait effectué son office. Le seigneur vieillissant, et désormais grand-père d'une douzaine de filles, s'empressa d'accepter, peu importe ce qu'il demandait, ce ne pouvait être pire que le monstre dévorant d'innocentes jeunes femmes.

Il passa toute la nuit en préparatif, et lorsque le petit jour arriva, et le moment du départ de la jeune fille sacrifiée pour les chutes, il lui fit emporter avec elle son cheval, de petite stature mais de nature robuste, chargé de huits outres remplies de l'alcool de la meilleure qualité. L'homme à forte carrure aurait révélé que ce monstre avait un point faible, l'alcool, et il ne pouvait s'en empêcher d'en boire, et que son goût de la boisson dépassait même celui de la chair humaine. Il comptait ensuite l'affronter seul à seul, une fois que ce dernier serait affaibli.

L'homme à la barbe de jais et d'argent eu raison. La jeune fille n'eut que le temps de prendre les jambes à son cou en hurlant que le monstre, aussi grand que les sommets perçant la brume, et aussi large que le lit de la rivière dans laquelle il avait élu domicile, se jetait sur la pauvre monture et ses outres d'alcool, qu'il s'empressa de vider. Perturbé par l'ivresse rapidement provoquée par tant d'excès, il ne tarda pas à sombrer dans un profond sommeil. L'homme à l'étrange arme alors s'approcha, et leva bien haut son arme, et pourfendit l'immense monstre d'un seul grand coup, faisant tellement trembler le sol, selon les rumeurs, que le seigneur même assis sur son coussin, en bas de la vallée, le sentit.

L'homme aux cicatrices retourna alors voir le seigneur, qui s'empressa de lui demander qui il était, et comment il avait su battre cette immense et terrible créature. L'homme raconta qu'il était originaire de la vallée, et qu'il l'avait quitté bien des années auparavant, à la recherche d'une pierre censée exaucer les vœux, pour obtenir la main de la femme qu'il aimait alors. Il avait tellement voyagé, par delà les montagnes, qu'il était arrivé dans les steppes des barbares, où de telles abominations existaient, selon ses dires, et c'était là bas qu'il avait appris à combattre comme cela.

Évidemment personne ne le crut, puisque personne ne se souvenait d'un homme d'une telle carrure, et avec une telle barbe, et encore moins qu'il existait de tels monstres et encore moins de telles steppes. Personne néanmoins osa remettre ses propos en question, puisqu'il avait abattu le monstre avec une telle aisance. L'homme demanda comme paiement la construction d'un grand bâtiment, là même où il avait défait le monstre, où les cinq chutes des montagnes tombaient pour former la rivière afin d'enseigner son art, pour défendre la vallée si jamais un tel monstre, ou une menace décidait de revenir menacer la vallée brumeuse aux pics escarpés, et aux forêts hostiles.

La jeune fille qu'il avait sauvé, quand à elle, retourna chez elle aussi vite que ses jambes le permettait, annonçant la nouvelle de son sauvetage à ses proches , bien que sa mère était absente. Tout le monde l'avait vu partir, éplorée, en direction de la forêt mais nul ne savait ce qu'elle comptait y faire. Des battues furent organisées, et l'homme à l'épaisse barbe y participa, désirant aider les habitants de la vallée. Ce fut lui qui la retrouva, le poing droit puissamment serré, sans que rien ne s'y trouve. Et son bramement blessé alerta tout les villageois. On le retrouva serrant le corps de celle qu'il avait aimé, il y a si longtemps, alors qu'il n'était qu'un jeune homme cherchant sous chaque feuille la promesse d'un amour sans réciproque.

La légende raconte que l'homme aux cicatrices a fini par réussir à construire son rêve, mais que jamais il ne se maria. Au crépuscule de sa vie, on le vit régulièrement se promener nostalgiquement le long de la rive, retournant les pierres, machinalement, comme à la recherche de quelque chose. Mais bien peu se souvenait de alors du récit de la pierre des soupirs, brillant à la fois de toutes les couleurs, et d'aucune.

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