
La taverne s'était vidée sans qu'il s'en rendît compte. Un instant, encore, Renard avait cru entendre des rires, peut-être les siens... puis plus rien. Ses bras pliés sur la table, il laissa retomber sa tête, le souffle court, le cœur plein de ce bruit qu'il ne savait jamais nommer. Ce n'était ni la tristesse, ni la joie. Plutôt cette sensation de flotter à la lisière du monde, quand il écoutait les autres chanter... et qu'il réalisait, encore, qu'il ne connaissait ni les paroles ni l'air.
Il ferma les yeux. Ce qu'il avait ressenti à Providence lui revint en mémoire, lui serra la poitrine. Il ne savait toujours pas ce que c'était. Il s'était dit qu'en examinant le casque, il comprendrait, alors il avait concentré toute son attention dessus, au point de presque tout manquer du deuxième combat, qui s'était fini si vite qu'il n'avait pas eu le temps de le réaliser.
Mais la réponse n'était pas dans le casque. Ce sentiment étrange, qui se mêlait dans une cacophonie sans fin dans sa tête et dans son cœur, ne se laissait pas nommer. Alors Renard avait choisi un mot fourre-tout à donner à toutes ces émotions : « fausse note ». Il en faisait beaucoup.
Le calme régnait sur la salle, à présent. Renard percevait le bruit de la vaisselle et la conversation étouffée des employés derrière lui, basse et apaisante comme le ressac sur la grève. Il savait qu'il allait devoir partir — les employés allaient rentrer chez eux. Avec deux gils, on ne garde pas une taverne ouverte toute la nuit, après tout. Les yeux fermés, il demanda si les autres avaient bien trouvé le chemin pour rentrer.
Rentrer.
Un mot terrifiant et attirant, tout à la fois.
Rentrer.
Quelque part. Près de quelqu'un. Chez lui. Il imagina les murs blancs, les grands escaliers, la mer qui scintillait et cet homme immense au visage tranquille, penché sur les eaux. Une chambre minuscule. Un regard de glace.
Rentrer.
Renard frissonna, referma les bras autour de lui. Les autres rentreraient, oui. Lui préférait la chaleur mourante du feu et le crépitement du bois sec, le bruit de la vaisselle et les voix basses qui discutaient.
Et pourtant... pourtant, il continuait de se demander ce qu'il fallait pour appartenir vraiment. À un lieu, à un foyer. À quelqu'un.
Ah, il avait encore deux gils en poche. Demain, il aviserait. Pour l'instant, il pouvait bien rester encore un peu comme ça.