La jeune femme se remémora des souvenirs qui lui paraissaient flous, presque irréels. Tant d’années s’étaient écoulées depuis son arrivée au manoir, au point qu’elle en avait quasiment oublié son village d’origine. Elle avait dormi trop longtemps. Ce qui restait certain, c’était l’animosité qu’elle éprouvait pour le Coerthas. Elle détestait vivre ici. La nature était morte et les gens ne vivaient que pour se battre. Rien ne lui plaisait, tout la poussait à partir.
Le souvenir d’un parfum lui réchauffa le cœur. Elle aurait aimé pouvoir le sentir à nouveau. A quoi ressemblait la Noscea maintenant ? La brume tiède recouvrait-elle toujours les rives du lac d’Airain ? Elle se plu à le croire, sans pourtant pouvoir l’affirmer. La hyuroise soupira tristement, debout près de la fenêtre, un châle sur les épaules, en rêvant d’aventures.
Peut-être Mère la laissera-t-elle partir ? Peut-être qu’en l’implorant suffisamment, celle-ci cédera et la libérera de cette lugubre demeure ? Arhae l’Eternelle se tourna doucement vers la porte, laissant le châle glisser délicatement le long de son dos pour tomber sur le parquet. Son visage s’illumina davantage : l’audace remplaça la tristesse. C’était décidée : elle irait voir Elaine pour la convaincre.
Sans attendre, la jeune fille pressa le pas. Elle quitta sa chambre pour s’engouffrer dans un couloir. Sa démarche aérienne combinée aux mouvements de sa robe donnait l’impression qu’elle lévitait. Elle fût si impatiente qu’elle en courait presque. Elle tourna à un croisement, puis à un autre, avant de s’arrêter devant une porte sombre et majestueuse. Là, Arhae hésita. Ce que cachait cette porte semblait lui faire peur. Elle resta figée un instant, comme paralysée. Enfin, dans un grincement sourd, la belle l’ouvrit et disparut dans la pénombre de la pièce.
La chambre d’Elaine Brumdelain était obscure et ténébreuse. Une aura malsaine et oppressante émanait de ses murs. La décoration, jadis somptueuse, n’était plus que poussière et débris. L’endroit était sinistre. Au centre de la pièce, parmi les décombres, se tenait un trône surélevé, orné de drapés soyeux et de dorures. C’était le seul meuble qui n’avait visiblement pas souffert de négligence.
Arhae s’avança timidement en regardant nerveusement de gauche à droite pour détecter la présence de sa mère. Il n’y avait personne.
Forcée de constater que la matriarche n’était pas là, la hyuroise fit marche arrière. Alors qu’elle s’apprêtait à sortir, son attention se porta sur une vitrine qui, elle aussi, semblait intact. Piquée par la curiosité, la jeune femme s’approcha pour analyser son contenu. Derrière les vitres scellées se tenaient trois objets qui l’intriguèrent. Arhae regarda d’abord l’épée qui paraissait ancienne, puis elle détourna les yeux vers un miroir argenté. Une pierre précieuse scintillait en son centre. Lorsque la belle tourna une nouvelle fois le regard, tout son intérêt se concentra sur une fleur. Une rose d’un blanc immaculé. Elle plissa légèrement les yeux pour l’analyser plus attentivement. Pensive, elle posa délicatement le bout de ses doigts fins sur la vitre. Des bribes de souvenirs lui revenait alors. Des flashs, flous et saccadés. Cette rose lui rappelait quelque chose… mais quoi ?
- Tu ne devrais pas te faufiler ainsi, cela est indiscret. Déclara soudainement une voix sortie des abysses.
Elaine Brumdelain était apparue sur son trône. Elle avait l’allure digne et impériale. Un sourire mauvais se dessinait sur son visage bleuté. Sur son front dégagé étaient incrustées six perles étincelantes. Leur couleur se mariait avec son regard, si bien qu’on aurait dit quatre paires d’yeux alignées les unes en dessous des autres. Comme une araignée.
Arhae l’Eternelle s’inclina maladroitement. Se trouver face à sa mère la rendait particulièrement vulnérable et étourdie. Comme une proie.
La jeune fille se dirigea alors vers le trône et prit son courage à deux mains. Elle dévoila son souhait de retourner en Noscea et quitter définitivement le Coerthas. Elaine resta impassible, rien ne laissait deviner ce à quoi elle pensait.
- Mère, voici déjà plusieurs soleils que nous sommes éveillées. Anghario, Oriena et moi devons retourner chez nous. Je vous en conjure, laissez-nous partir ! Implora Arhae en joignant ses mains l’une à l’autre.
- Allons, mon tendre enfant, penses-tu que je pourrais vous retenir ici contre votre grès ? Me prendrais-tu pour un tyran ?
Elaine se releva et s’approcha de sa fille. Elle tourna autour d’elle lentement, tout en lui parlant, obligeant Arhae à pivoter la tête pour lui répondre. Le prédateur jouait avec sa proie.
- Si je vous garde ici, ce n’est que pour votre sécurité…
- Notre… sécurité ? Répéta la jeune fille, naïve et intriguée.
- Comment ? Ombeline ne t’a donc rien appris ? Le 7eme Fléau a ravagé tout Eorzéa. Il ne reste plus rien, sauf Ishgard. Les forêts sont en cendres, les déserts sont gelés et ta précieuse île s’est faite submergée par les flots.
Le sourire mauvais de la matriarche s’élargit. Elle était à la fois douce et malveillante. Sa voix résonnait dans toute la pièce. Le visage d’Arhae se décomposa. Une détresse intense l’envahit brusquement.
- Non… Non, cela est impossible ! J’ai vu ces aventuriers, dehors. Il y a tant d’étrangers !
- Des sauvages ! Les peuples vivants en dehors du Coerthas sont des tribus nomades qui ne jurent que par la chasse et l’argent facile. Ce sont des mercenaires avides de richesses, je t’interdis formellement de les approcher ! Maintenant, hors de ma vue !
Les yeux d’Arhae l’Eternelle s’embuèrent. L’annonce de cette nouvelle lui brisa le cœur, la laissant meurtrie face à une Elaine satisfaite. Elle quitta alors l’horrible chambre, à la hâte et cachant entre ses mains les larmes de son désespoir.