Conte de Noscea : La légende de la Selkie
30ème soleil de Llymlaen 1584
Sur les îles d'Ombrelune en Noscea, il était dit qu'un grand malheur frapperait celui qui tuerait un phoque - que ce soit par accident ou par malveillance. Les phoques étaient réputés être des créatures magiques qui apportaient des bénédictions à la mer et à la terre. L'on disait même que certains clans descendaient directement des phoques - quand bien avant, dans un passé lointain, les animaux et les humains pouvaient parler entre eux et partageaient ensemble le même monde. Mais plus récemment, de nombreux récits font également part d'humains, hommes et femmes, qui asservissent des phoques et les prirent en mariage, afin qu'ils s'occupent de leurs maisons et leur donnent des enfants.
Ce n'étaient pas des phoques ordinaires. C'étaient des créatures mi-humaine, mi-phoque, et elles étaient connues sous le nom de Selkies. A minuit, chaque année, la veille du solstice d'été connu aussi sous le nom de La Grande Célébration d'Azeyma, une douzaine d'entre elles nageaient jusqu'au rivage où elles enlevaient leurs peaux argentées - laissées sur les rochers, pour se transformer en homme et en femme un certain temps et danser ensemble en cercle, au clair de lune. Cette danse était menée par un mystérieux vieillard, sorcier, qui chantait et marquait la cadence jusqu'à ce que finalement les phoques se mettent en couples (car il y avait six mâles et six femelles) pour faire l'amour au bord de la mer, sous le clair de lune. Puis ils renfilaient leurs peaux argentées et retournaient vers la mer, les femmes portant la prochaine couvée de Selkies dans leurs ventres.
Une année, Taggart, un vieux pécheur, s'était endormi sur sa veste, au soleil couchant, après avoir ramassé des coques parmi les rochers. A minuit, il se réveilla pour découvrir la danse mystérieuse se déroulant au clair de lune et fut captivé par la beauté des Selkies. Ils étaient superbes et grands avec de fins cheveux dorés. Et leurs connaissances de la terre et de la mer rendaient leurs yeux étincelants ce qui était aussi beau qu'étrange.
La danse terminée, le treizième membre du groupe, l'homme Almakira, qui se tenait en leur centre, s'éloigna à grands pas de la plage pour disparaître rapidement au lointain. Taggart pouvait à peine en croire ses yeux quand il vit six couples marcher main dans la main vers différents endroits de la plage avant finalement de s'allonger ensemble, s'entrelaçant dans des étreintes chaleureuses et passionnées. Taggart, muet d'étonnement, yeux écarquillés et bouche mi-ouverte, observa la scène jusqu'à ce que finalement, chaque Selkie retourne vers son petit tas de peau, argentée et froissée, gisant sur les rochers, et, en renfilant la peau se transforme instantanément en phoque pour ensuite glisser gracieusement dans la mer, plongeant et disparaissant sans laisser de trace.
Mais il y avait une Selkie qui ne pouvait pas se retransformer en phoque. Elle cherchait en vain sa peau, sans pouvoir la trouver. Taggart sortit de sa cachette dans les rochers, la surprenant par son apparition soudaine. Il avait caché la peau et la tenait maintenant entre ses mains. Elle le fixa d'un regard limpide de ses yeux noirs et elle étendit simplement ses bras vers lui en disant :
"S'il vous plaît, rendez-moi ma peau. Sans elle, je ne peux rejoindre la mer.
- Jolie femme, dit Taggart, ne retournez pas à la mer. Vous êtes si belle que je suis tombé amoureux de vous et que je veux que vous soyez ma femme. Restez ici avec moi et épousez-moi.
- Je ne peux pas rester trop longtemps sur la terre, ma peau se dessèche et se fissure, et je me languis de la mer", répliqua-t-elle. Mais Taggart insista, et finalement elle accepta de rester avec lui pendant sept années, à condition qu'elle puisse alors retourner à la mer où était sa place.
Neuf mois plus tard, elle donna naissance à un enfant et Taggart ne sut jamais s'il en était le père et s'il provenait du partenaire de la Selkie. Mais le garçon était beau et robuste, et la mère et l'enfant s'aimaient d'un amour fervent qui rendait le pêcheur, qui avait caché la peau parmi le chaume de la petite maison, à la fois heureux et soucieux.
A la fin de sa septième année année sur la terre ferme, la Selkie demanda sa peau à son mari : "Je dois maintenant retourner dans la mer", dit-elle tristement. Elle aimait tellement son fils qu'elle ne supportait pas l'idée de l'abandonner et elle ressentait même de l'affection et de l'intérêt pour Taggart bien que cela ne soit pas vraiment de l'amour.
Mais à sa surprise, la réponse de Taggart fut rapide et violente : "Comment osez-vous demander cela ?N'aimez-vous pas assez votre mari et votre fils pour rester avec eux ? s'écria-t-il.
- Bien sûr que si, plaida-t-elle, mais regardez donc ma peau qui pèle et se fissure. Et regardez mes yeux qui pleurent sans cesse. Si je ne retourne pas dans l'eau, je vais mourir avant peu.
- Ne dites donc pas de bêtises !" dit Taggart qui claqua la porte et se dirigea furieux vers son bateau. Leur fils observa sa mère pleurant à la table de la cuisine, et ayant entendu leur dispute il comprit ce qu'il lui restait à faire. Sans aucune hésitation, il s'assura que son père soit hors de vue, puis il grimpa dans le chaume et retira soigneusement la peau de phoque de sa mère. Il s'émerveilla de la manière dont elle brillait dans la lumière du soleil et de sa douceur au toucher. Il courut vers sa mère et dit : "Tiens, enfile cela et pars avant qu'il ne revienne !"
Regardant son fils à travers ses yeux plein de larmes, elle savait qu'il avait raison, pourtant elle ne supportait pas l'idée de l'abandonner. Mais elle le suivit quand il l’entraîna vers le rivage. Là, elle déboutonna sa robe et la laissa tomber dans le sable. A ce moment-là, ils entendirent un cri furieux "Non !" et ils se retournèrent vers Taggart qui courait dans leur direction en criant continuellement "Non ! Non !"
Elle regarda son fils. "Vas-y !", lui cria-t-il avec amour et sans colère. Rapidement, elle enfila son habit argenté, se précipita dans l'eau et disparut en un instant.
Mais après cela, chaque nuit un phoque nageait jusqu'à la rive à côté de leur maison et laissait deux gros poissons sur les rochers plats. Et chaque nuit, au soleil couchant, Taggart et le garçon s'asseyaient tous deux pour regarder l'arriver du phoque et durant un instant le phoque les fixait de ses grands yeux sombres e l'on aurait dit que des larmes s'en écoulaient.

Image : La Selkie par Marco Gonzalez