
Quelques pas dansants et rythmés enchaînèrent son entrée pendant qu'il décrochait le nœud de son col de Majordome. Il écarta les bras, son trophée en main. L'Incongru, le Miqo'te était... Heureux. Il poursuivit ainsi son chemin vers sa chambre tout en se délestant de sa veste. L'ensemble termina jeté dans un coin de la pièce alors qu'il refermait la porte tout en continuant à chanter. Sa chemise ouverte, il termina sa Chute dans son lit, Rêverie et Vertige accompagnant celle-ci.
La soirée avait pourtant mal commencé.
- Comment ça, c'est votre dernier costume?! avait-il fait, atterré, mains sur le comptoir.
- Ouaip, pour votre taille. Si vous voulez sinon, j'ai encore des robes ou ce costume de chocobo là-bas...
L'imposant gérant avait pointé du pouce les vêtements d'un jaune vif non loin. Soit le Mage rebroussait chemin, décevant sa disciple... Ou bien il acceptait de faire face au traumatisme. Il s'était retrouvé dans la tenue qu'il avait tant honni pendant vingt ans. Vingt longues années de supplice et il se souvenait de chaque geste pour arranger les plis, ajuster les gants, nouer le nœud. Un monocle teinté avait remplacé le cache-œil et quelques produits avaient suffi pour changer sa coiffure. D'anciens échos avaient heurté sa conscience.
- ... Qui êtes-vous?
- Si j'étais vous, je ferai mieux de courir. Tic, tac.
Il avait rejoint sa disciple qui avait été prise au dépourvu par son changement d'apparence et de maintien. Pour une fois, il avait dérogé à ses principes et joué la comédie pour détourner l'attention. Il s'était autorisé, pendant un jour, à ne plus être Eylion. Au début, il n'éprouvait aucun plaisir à se trouver parmi la foule, à devoir se plier à son rôle de Majordome. Puis, quand la chasse aux œufs fut lancée, il s'était surpris à se prendre au jeu. Il avait autant pris plaisir à courir qu'à réfléchir, à éprouver les capacités de Kaly tout en travaillant de concert.
La fatigue avait fini par les faire lâcher la compétition mais il avait reconnu que gagner n'était pas le plus important. Malgré l'abandon, Kaly s'en était sortie avec deux lots, l'un offert par son frère, l'autre par leurs efforts.
Il avait accepté une baignade par la suite, qui faillit bien se solder par une noyade quand la jeune femme, enthousiaste, s'était mis en tête d'explorer les courants plus loin. Un rocher fut leur providence commune et le Mage était parvenu à les ramener au rivage, non sans que son monocle ne sauta à l'eau. Quelques explications plus tard et un monocle retrouvé, ils étaient revenus sur la terrasse se rhabiller pour... retrouver un lalafell ivre endormi dans les vêtements de la Miqo'te.
Un lancer d'ivrogne dans l'eau plus loin, un échange vif avait interrompu la tranquillité des lieux.
- OUAIS... BAH... BAH... ELLE SENT BON!! avait hurlé le coupable.
- GROS DÉGUEULASSE!! avait lancé Kaly, gênée, en retour.
- OUAIS BAH VIENS LÀ QUE JE TE MONTRE... SI JE SUIS PAS MIEUX QUE TON MÂLE LÀ!
- Le MÂLE DE QUI, LA DEMIE PORTION?! avait hurlé, cette fois, Eylion.
- BAH ALORS SI C'EST PAS TA FEMELLE, PARTAGE BÂTARD!! DE QUOI TU TE MÊLES?!
- ELLE CHOISIRA TRÈS BIEN TOUTE SEULE COMME UNE GRANDE SON PROPRE MÂLE, ABRUTI! avait-il fait, les mains sur le rebord, très investi dans la "discussion".
- PUTAIN, T'ES AUSSI CON QU'AVEUGLE TOI! ELLE TE BOUFFE DU REGARD CRÉTIIN!
Il n'avait pas répondu, se contentant d'un vague... "Il a réussi à me faire dire le mot mâle" dépité envers lui-même. Éluder le sujet pour mieux éviter une mine, il pouvait le faire. Malheureusement, il était loin d'être aveugle. Il avait bien noté l'intérêt palpable de sa disciple envers lui. Le bourgeon était là, non éclos, insignifiant mais le Mage avait senti sa présence chez elle.
- Hm... Dans ce cas, pourquoi votre instinct vous fait me tutoyer. Si j'étais que votre élève dans votre esprit, ça n'arriverait pas, non?
- Parce que votre comportement prête à confusion, voilà tout.
- Quel comportement? Celui d'une gamine, d'une petite sœur, d'une amie?
- Je ne sais pas... J'ai parfois plus l'impression d'agir comme votre père qu'autre chose.
- Merde... Je vous vois pas DU TOUT comme un père. Trop sexy pour un paternel.
La discussion, sur le chemin du retour, s'était envenimée en conséquence.
- Encore une fois, je vous prie, Eylion de cesser de choisir à ma place ce que je dois faire, penser ou apprécier. C'était sincère. Ce n'est pas parce que vous ne vous acceptez pas ou ne vous aime pas que vous êtes hideux ou déplaisant aux yeux des autres.
- ... La seule femme à m'avoir dit que je pouvais être "plaisant" physiquement est celle qui jouait la comédie, je vous le rappelle. Combien de fois, vous croyez que j'ai eu affaire à des "morveux", "gamins" et autres remarques du même acabit? Vous me pensez assez idiot pour ne pas savoir ce que les femmes aiment?
- Oui, vous êtes idiot et même blessant si vous n'avez pas encore compris que JE ne suis pas comme les autres femmes moi, j'ai rien à voir avec ces idiotes, perverses et superficielles qui préfèrent un beau mâle musclé sans défaut mais rien dans le plot! Sur ce, bonne nuit! Et je squatte la salle de bain avant d'aller dormir. N'entrez pas, merci.
Ce fut sur une porte claquée froidement au nez qu'il était retourné sur ses pas jusqu'à la Cave, bien décidé à se soûler à défaut de savoir quoi faire. Il avait assisté au rangement d'après fête des Proeufs jusqu'à son arrivée au comptoir. Après ses deux verres, il avait fait la rencontre inattendue d'un cœur brisé comme le sien en la personne d'une secrétaire en recherche d'emploi, une Miqo'te brune à la tenue impeccable. Leur discussion s'était prolongée tard dans la nuit, chacun se confiant à l'autre. Il avait allégrement profité du couvert de son costume et du voile de l'alcool.
- Il faut jamais qu'on fasse ça en public hein... avait-elle amorcé sur un ton grave.
- Hm?
Elle avait alors esquissé un semblant de sourire en coin des lèvres.
- On pousserait au suicide à deux, vous aviez raison.
Un léger rire lui avait répliqué.
- Avec un peu de chance, on pourrait en emporter quelques uns dans la tombe.
- C'est pire que l'espionnage ou la propagation de maladies ça, vous savez.
- J'admets Coupable sur toute la ligne. Mince, vous avez mis à jour mon plan de dépression mondiale...
- Démoralisation de masse...
Un rire commun avait éclaté dans la pièce désormais vide de monde, à l'exception de la serveuse de garde. Après quelques plaisanteries douteuses, la conversation s'était poursuivie plus calmement.
- ... Ne le faites pas seule. Quoiqu'il arrive, lui avait-il conseillé après quelques échanges.
- Il va falloir que j'apprenne un minimum quand même, j'en ai assez d'avoir peur de tout. Je suis contente déjà... Vous n'imaginez pas à quel point c'est dur pour moi de m'être confiée comme ça.
- C'est... normal d'avoir peur. Au moins, ça veut dire que vous n'êtes pas inconsciente, avait-il souligné avec un sourire désabusé.
Elle avait dodeliné de la tête, incrédule, pendant qu'il enchaînait.
- Vu qu'on sait à peu près ce qu'il en est de chaque côté... Je vais sans doute vous énoncer une demande étrange mais avant de la faire... Je vais vous expliquer pourquoi je la fais.
Elle avait pivoté sur son siège, intriguée.
- Je ne suis pas un poète, je n'étais pas un danseur mais pour Elle, j'ai pris sur moi d'apprendre. J'ai toujours dansé pour Elle, avec Elle. En discutant avec ma disciple, j'ai compris qu'il y avait des choses que j'avais besoin de faire pour... L'exorciser. À la base, la fête des Proeufs aurait dû être cette occasion mais je n'ai pas voulu donner... Comment dire... un message confus à ma disciple en lui proposant de danser avec moi. Alors puisque nous sommes sensés ne plus nous revoir et que vous savez ce qu'il en est...
Il avait soupiré.
- Accepteriez vous de danser avec le pauvre ivrogne que je suis?
Un clignement de regard et un rire avaient suivi la demande impromptue.
- Avec plaisir monsieur...
Il s'était levé, délaissant de son mieux sa gêne. Ses appréhensions. Sa garde. Ses fardeaux. En parfait cavalier, il s'était incliné, main sur le cœur, pour saluer sa Dame du soir avant de la tendre vers elle. Elle avait déposé ses doigts graciles dans les siens et il l'avait entraîné au centre de la pièce, sous le regard discret de la serveuse.
- Vous devez admettre qu'il y a plus romantique comme situation pour une valse, avait-il dit avec un sourire d'autodérision, un brin nerveux.
Alors qu'elle posait son bras sur le sien, il avait amorcé les premiers pas, laissant ses réflexes faire le reste.
- Vous plaisantez... Un inconnu en costume m'invite à une danse au beau milieu de la nuit après avoir supporté de m'écouter...
- Deux cœurs brisés, je suppose qu'il y a du symbole quelque part... On a toujours supposé que Nymeia aimait jouer des tours mais... je suis heureux que la soirée finisse ainsi, avait-il fait avec un maigre sourire comblé.
Sa cavalière n'était pas en reste, connaissant sur le bout des doigts la posture à adopter, la pointe de ses pieds effleurant à peine le sol.
- Faites attention, là ça devient vraiment romantique... avait-elle souligné avec un sourire discret.
La plaisanterie avait pris le pas alors qu'ils tournaient lentement.
- Selon ma disciple, il est possible que je courtise comme un manche vu que ma précédente Femme jouait la comédie.
- Ah oui ? Je pense qu'elle est jeune et manque de discernement alors. Vous lui feriez ce petit numéro là qu'elle vous tombe dans les bras, monsieur.
- Elle est jeune, oui... Quant à tomber dans les bras, je dois avouer que je ne comprends pas ce que les femmes veulent parfois.
Il l'avait alors fait tourner sur elle-même, la prenant au dépourvu, avant de la ramener à lui.
- On penserait que ce seraient les bellâtres grands et musclés qui vous intéressent.
Elle avait soufflé sa surprise, se prêtant volontiers au jeu d'improvisation qu'il lui offrait.
- L'apparence compte pour toutes, elle ment si elle vous dit le contraire. Mais c'est le charme qui agit.
- Le charme?
Ce fut là qu'il avait poursuivi son improvisation, obligeant sa partenaire à changer de rythme. Il avait mélangé allégrement le tango à la valse, faisant fi des conventions de la danse, mêlant de manière chaotique ce qui lui plaisait. La manœuvre avait eu le don d'amuser sa cavalière, la queue de la Miqo'te battant le rythme joyeusement.
- J'ai vu des lalafells mille fois plus charmants que de magnifiques Hyrgoths bronzés. Et des Élezèns plus attirants par un simple geste que le plus puissant des mâles parmi mes ancêtres.
- Hrm... Donc elle mentait... à moitié?
- À moitié? Vous vous pensez si laid que ça...
- ... Je sais quels sont mes traits, ma taille, ma corpulence. Je ne me fais pas d'illusions et si je m'en faisais... "Elle" s'est appliquée à les détruire.
- Je ne sais pas ce qu'il en est des autres mais je peux vous dire ce qui me fait sourire tous les matins, ce sont les grands hommes. J'aime les visionnaires, pas les mannequins. De l'assurance en vos capacités, vous en avez tous, vous et c'est pour ça qu'on vous... aime.
Dans ce jeu de dupes entendu, le cœur du cavalier s'était figé un instant. La gêne, palpable, partagée, avait le goût de l'Interdit, la saveur du non-dit.
- ... J'espère que vous arriverez à trouver votre chemin et votre conclusion... ou avenir.
Il avait fait ses Adieux sur un baise-main.
Leurs chemins s'étaient séparés et il se retrouvait là, dans son lit, se laissant d'autant enivrer qu'il n'y avait aucun Risque. Il avait vécu le Moment présent comme s'il allait durer éternellement, faisant fi de toutes ses inhibitions. Il avait goûté de nouveau au Plaisir de Plaire et de Faire Plaisir. De Séduire, de se laisser Séduire sans se soucier des conséquences, du lendemain.
Au Réveil, il savait qu'il reprendrait le cortège de ses Fantômes mais pour ce soir... Pour cette nuit, il n'était qu'un homme simple qui profitait encore du Voile de l'Illusion, rêvant après la mystérieuse et belle inconnue qui avait su lui faire oublier, un instant, Qui il était.