Catastrophe.
Cela fait désormais quelques temps que je suis coincée sous terre, à prendre de soins de rebelles masochistes ne pensant qu’à libérer leur territoire de l’envahisseur Garlemaldais. Ils ont bien du mal à comprendre qu’après 20 années d’implantation, la « vermine », comme ils l’appellent, commence à se sentir chez elle, et ne compte pas bouger si facilement. Mais des nouvelles venues de l’ouest semblent avoir changé la donne. D’aucuns disent que des armées viendront en nombre pour les libérer.
Qu’ils aient raison ou tort, les tensions ne cessent de s'accroître. Un massacre est imminent, et je ne peux plus attendre pour m’enfuir. J’ai passé les deux dernières semaines à creuser un tunnel à l’aide de formules élémentalistes, à l’aveugle. Ce fut un travail extrêmement fastidieux : d’une part, je devais faire preuve d’une attention particulière pour ne pas me faire repérer. Non que les gens qui me séquestrent connaissent grand-chose à ma discipline, mais le fait de me voir parler seule dans une langue inconnue la main posée sur un mur aurait pu éveiller des soupçons. D’autre part, réaliser un passage à l’aveugle dans ses conditions relève de l’exploit minutieux. Chaque yalm creusé m’aura demandé de longues heures de concentration épuisante, au terme desquelles je me retrouvais vidée de mon énergie. Je devais pourtant m’économiser, car j’avais des Mhigois à garder en vie.
Néanmoins, cette œuvre est achevée. Le tunnel conduit à deux yalms de la surface, si je ne me suis pas trompée, et, en règle générale, je me trompe rarement. L’emprunter et le sceller derrière moi me prendra quelques secondes tout au plus, car je me suis taillé une baguette dans un pied de chaise. C’était nécessaire, Saphi me reprenant mon bâton après chaque guérison. Elle avait vu de quoi j’étais capable en sculptant les meubles dans la pierre, et avait logiquement décidé que je ne devais pas garder cet outil sur moi constamment. C’est, pour une fois, une sage décision qu’elle prit. Mais, malheureusement pour elle, j’ai appris à me débrouiller avec les moyens du bord. J’aurai donc le dernier mot.
Pourquoi est-ce la catastrophe alors ?
Il me reste littéralement quelques secondes pour partir. Dans un affolement absolu, je finis de préparer mes affaires. Ma chaise bloque la poignée de la porte d’entrée de ma cellule-infirmerie. Ma situation est extrêmement délicate.
Je souhaitais emmener Djeor, mon apprenti, avec moi en Eorzéa. Manque de chance, Saphi avait dû sentir le coup arriver. A l’instant même où j’ai fait l’erreur d’être trop explicite quant à l’avenir que je nous imaginais, il m’a injurié en hurlant que j’étais une sale traîtresse et s’est précipité dehors. Il est devenu à peu près compétent, et Saphi n’aura aucun remord à demander à son singe de me briser en deux, ayant un médecin remplaçant sous la main. Pas après ce genre de traîtrise. Ne tenant pas à être de nouveau torturée avant une mort probablement douloureuse, je referme ma sacoche, attrape ma baguette de fortune et murmure une incantation pour ouvrir le mur, avant de découvrir l’obscurité d’un tunnel qui m’attendait sagement.
Sans plus attendre, je m’enfonce dedans et le referme avec des rochers et de la terre derrière moi. Pour l’instant, je suis sauve.
L’obscurité est absolue ici, et la terre humide. Je sens mes mains et mes jambes s’encrasser de boue à mesure que je progresse. Derrière moi, bien qu’étouffés par un bon yalm de roche et de terre, j’entends les beuglements de la voix douce de Saphi. Par les Douze, comment est-ce même possible de hurler autant en gardant un tel ton ? Cette femme aurait eu un grand avenir en politique, je pense. Je devais avouer qu’elle possédait un charisme incroyable. Dommage qu’il fût pourri par ce goût pour l’extrémisme.
Bien qu’avançant à tâtons, je savais parfaitement vers où je me dirigeais : l’avantage notable d’avoir mis autant de temps à incanter mon issue de secours. Aussi, cette noirceur oppressante ne m’effrayait pas : j’avais surtout peur de faire une mauvaise rencontre en sortant. Une sortie prévue très prochainement, avant de me rendre devant le taudis qui, presque une vie auparavant, me servait de refuge dans la cité d’Ala Mhigo. Un taudis dans lequel j’avais caché mes meilleurs bâtons et une somme conséquente de gils. J’allais avoir besoin des deux pour rentrer chez moi en un seul morceau.
Après deux heures pleines de progression, je découvris le bout de mon ouvrage. Il était temps, car je commençais sérieusement à m’épuiser et à m’assoiffer. Je ne me rappelais pas avoir creusé si loin, mais je ne m’en maudissais pas, loin s’en faut : cet effort considérable me permettrait de sortir loin de ma cellule, et donc d’éviter d’être joyeusement accueillie lorsque ma tête dépassera du sol. Je commençais donc à incanter pour dégager les quelques yalms restants. Un sort de méga terre classique allait suffire, je ne perdis donc pas de temps à déblatérer une formule complexe : il fallait simplement pousser le bouchon.
Cela se fit dans un vacarme assourdissant : un bruit sourd et une détonation, à la suite desquelles il ne me fallut que quelques secondes pour me précipiter dehors et me mettre à couvert derrière la première caisse en bois que je vis. Puis, tendue, j’attendis que la poussière retombe et me dévoile mon emplacement. J’étais si concentrée que mes yeux auraient pu sortir de mes orbites. Fort heureusement, ils restèrent à leur place et je pus m’intéresser à mon environnement. Bonne nouvelle, je n’étais pas si loin de chez moi. Je reconnaissais l’architecture typique de ce quartier miséreux, cette pierre taillée s’accouplant avec les divers matériaux de récupération. Je savais où aller. Je filais donc à toute allure, pleine de boue, en prenant soin de m’éloigner du centre-ville. Je devais absolument faire le tour par la périphérie au plus vite. Le bruit allait attirer beaucoup de monde, dont mes probables geôliers.
Geôliers que j’étais presque sûre de trouver devant ma mansarde. Heureusement pour moi, il ne serait pas problématique d’escalader par l’autre côté et de passer par la fenêtre : j’espérais simplement n’avoir à affronter personne. Je pouvais me débarrasser aisément d’un opposant, mais pas d’une dizaine si des renforts venaient à être appelés. Je n’étais ni archère, ni pugiliste. Je n’avais pas d’arme d’occultisme sur moi et ne souhaitait de toute manière pas choisir une approche létale. Il allait donc falloir endormir les potentiels assaillants. Un par un. Génial.
C’est emplie de ces pensées que j’atteignis l’angle de rue fatidique. Je jetais un œil prudent pour observer l’escalier qui donnait accès à mon chez-moi Mhigois. Personne, au premier abord. Cela n’allait pas en me rassurant, mais j’allais devoir faire avec. Ma baguette de fortune bien en main, je me mis à avancer lentement vers le bâtiment. Mes yeux scrutaient tous les recoins à portée de vue, trahissant ma panique. Bien que je m’efforçasse de me contrôler, mes émotions avaient toujours tendance à revenir me jouer des tours dans les moments les plus décisifs. Un handicap notable qui m’avait, entre autres, conduite à quitter le front de Brumebleue. Incapable de me concentrer uniquement sur les faits, souffrante de la disparition de ma sœur, j’avais essayé, depuis, de devenir quelqu’un d’autre.
J’avais partiellement réussi. J’avais effectivement changé au point de devenir quelqu’un que je haïssais. C’est une sensation très étrange, car on ne cherche plus à se repentir de ses fautes. Seulement à se punir. Se punir en s’interdisant le plaisir simple de la compagnie d’autres gens. Se punir en allant, par principe, à l’encontre de ses interlocuteurs et recevoir leurs foudres.
Se punir en agissant contre ses convictions. Que faisais-je, moi, Maeko, si loin de chez moi et de mes proches, me mettant inutilement en danger alors que des gens auraient pu avoir besoin de moi ailleurs ? Etais-je vraiment en train d’assouvir ma soif de curiosité, où tentais-je de m’exiler d’un faible bonheur que je ne pensais pas mériter ? Tout ça, au final, pour me retrouver traquée dans les rues de cette cité, à ramper pour fuir. Fuir, comme d’habitude. Je savais faire ça.
Je n’avais pas les clefs de ma mansarde, je crochetais donc la serrure antique à l’aide d’un caillou taillé en une formule élémentaliste. Dès que la porte pourrie s’ouvrit, je me ruais dans la puanteur de ce chez-moi qui me répudiait, et, après une petite incantation, fit un trou dans le mur de briques, au-dessus de ce qui m’avait jadis servi de lit.
Pour la première fois depuis longtemps, un sourire sincère éclaira mon visage. Une bourse remplie de gils et les deux bâtons que j’avais emmenés m’attendaient sagement. Il y en avait pour une petite fortune : je ne lésinais jamais sur la qualité de mon matériel. Je saisis l’arme d’occultisme. C’était un long bâton de bois noir. Des motifs en argent longeaient la partie supérieure du manche, et le contact de mes mains fit légèrement scintiller la sphère éthérique à son extrémité. Ainsi armée, mes chances de m’en tirer vivante augmentaient considérablement.
« Mains en l’air, ma douce. Ne nous oblige pas à te rendre plus laide que tu ne l’es déjà. »
La voix de Saphi fit parcourir en moi un frisson qui descendit jusqu’à mon échine. J’eu la sensation que ma mère me racontait une histoire avant d’éteindre la lumière pour me permettre de dormir, dans le même temps que mes yeux s’ouvrirent de hantise. Cette sensation extrêmement désagréable, me disais-je, ne devait être produite que par quelques rares individus en ce monde. Dont la femme dans mon dos. Je n’avais même pas dix secondes pour réagir.
Je fermais les yeux en incantant. Sans me retourner, je devais compter les gens qui étaient derrière moi. Saphi, ça fait un. Je sentais également l’éther de son gorille de compagnie. Deux… Non, trois autres étaient avec eux. Cinq. Ils étaient cinq.

Mon incantation fut déclamée dans un cri du cœur. Alors que je me retournais vivement, les cinq personnes tombèrent à terre, inertes. Je mis la bourse dans ma sacoche, accrochait le bâton d’élémentalisme dans mon dos et me précipitait vers la porte en évitant de marcher sur mes invités improvisés : ils n’allaient pas dormir plus d’une minute au maximum, je ne pouvais pas traîner. Trois personnes étaient dehors, pistolets à la main, levés vers l’endroit où je me trouvais. Dans mon demi-tour brusque, j’entendis à peine les armes faire feu, mais je sentis très distinctement une balle se loger dans ma cuisse droite. Je me jetais par la vitre à moitié brisée de la pièce, avant de tomber de quatre yalms. Ma réception dans la poussière fut extrêmement douloureuse, et le bruit sinistre que fit ma cheville me poussa à hurler comme une démente.
Dans un effort extrême pour rester lucide, je pris mon bâton d’élémentalisme et me remis sur pied en quatre secondes. L’élémentalisme ne me guérissait pas complètement et fatiguait énormément mon corps, mais allait me permettre d’endurer ce que l’être humain n’est pas censé endurer. Tant que je continuais de courir, l’adrénaline me permettrait de ne pas m’effondrer : aussi, couverte de sang, de boue et de sueur, sans même pouvoir prêter attention à l’incroyable spectacle du soleil se couchant, teintant d’orange et de rouge les rues d’ordinaire si grises, je me mis à sprinter vers les portes ouest d’Ala Mhigo.
Vers la liberté et mon salut.